En 2017, les éditions Grégoriennes ont publié un ouvrage, aux illustrations superbes (et adroitement commentées), consacré à sainte Marie-Madeleine. Il se présente en deux volets : la première partie, du bibliste Jean-François Froger, développe les « implications théologiques et anthropologiques figurées dans la personne et les actes de Marie de Magdala » ; la seconde expose les fruits historiques de la présence de la sainte en Provence. Jean-Michel Sanchez y déroule un parcours de l’histoire cultuelle, décrit l’enracinement du christianisme dans la Gaule comme la dévotion qui n’a cessé de grandir à travers les siècles pour celle qu’il appelle sobrement « la gloire de la Provence ». On ne saurait mieux formuler.
Ceux que passionnent les faits, les dates, les évènements, les aléas du culte et les vicissitudes des reliques, le poids des grands de ce monde dans l’inscription de la sainte dans « ce coin enchanté » iront d’emblée au chapitre VIII qui ouvre cette seconde partie. Ils y trouveront l’exposé précis, circonstancié et exhaustif (pour autant qu’on puisse en juger) de ce que nous savons sur la sainte venue de Judée, comme aussi ces choses miraculeuses que les poètes de Provence racontaient encore il n’y a pas si longtemps :
« que Jésus toucha du doigt son front, Ce dont les faux docteurs lui voulaient faire affront ; Ce front touché du doigt porte encore une marque (Jean Aicard, la Sainte Baume).
Cette marque, on l’a appelée le « noli me tangere », et au cours des siècles, avec les vols successifs, le dépeçage et la destruction de la relique, il a fini par disparaître.
Le culte de Marie-Madeleine, autrement dit sa mémoire, a cependant traversé les siècles : malgré le danger musulman, malgré la violence révolutionnaire – celle de Marat le sombre qui dispersa ses reliques ; malgré (pire encore peut-être) l’implacable rationalisme qui prétendit éradiquer les traditions provençales qui maintenaient le souvenir de ces évangélisateurs venus d’Orient, avec dans leur chair et dans leur cœur, au plus profond de leur conscience et de leur expérience, le souvenir de Jésus. Et son Amour.
La critique historique a fini par imposer l’idée que sous l’image de Marie-Madeleine, il y a trois femmes.
J.F. Froger pose d’emblée son choix de n’en voir qu’une seule. Sa méthode vise à comprendre la signification des textes par la critique interne, (en choisissant la version araméenne orientale des évangiles : la Pshitta) avec pour postulat que ces textes ne deviennent intelligibles qu’avec l’unité d’une seule personne : Marie de Béthanie. Le bibliste s’appuie au long de sa démonstration sur ceux qui l’ont précédé dans la compréhension de cette femme « si discrètement présente sur le chemin de Jésus, d’abord anonyme, puis nommée mais méconnue, et réhabilitée ». Nous trouvons là, avec une exégèse nouvelle, tout un trésor de citations et de références : du cardinal Bérulle, de saint Augustin, de saint Grégoire, pour n’en citer que quelques-uns.
Sept chapitres pour « entourer » le mystère d’une vie qui s’ouvre dans le moment où une prostituée vient publiquement rendre hommage à Celui qui lui a remis son péché, et lui couvrir les pieds de parfum et de larmes avant de les essuyer de ses cheveux :
Habille-toi de lin, Vénus, voici le Christ Deviens la Madeleine, et laisse en toi descendre, Mélancoliquement, sa grâce et son esprit, Humble, ternis tes pieds dans de la cendre (Emile Verhaerent).
Une femme, prostituée notoire, riche et belle, entre un jour là où elle sait que se trouve Jésus, attablé chez des connaissances. Elle donne l’exemple de la déchéance à « l’état pur », « le fond luxurieux de toute l’humanité qui s’exprime là avec toute la force d’une ardeur sans raison, d’une passion sans justification » (p. 17). Marie Madeleine est la figure d’une corruption propre à toute l’humanité. Mais elle a rencontré Jésus, « un homme qui ne porte pas sur elle un regard, même furtif, de désir luxurieux », elle a croisé son regard (qui est l’ultime toucher) un « inoubliable abime de pureté ». De ce premier échange va surgir en retour un autre abîme d’amour et de gratitude dont les larmes sont le signe.
Comment dès lors, peut-on douter de l’unité de cette femme, et que Marie sœur de Marthe, réhabilitée et relevée, « convertie », est bien la même femme que la prostituée aux pieds de Jésus. Il faut oublier le poncif de l’active et de la contemplative. Marthe, il est vrai, reçoit Jésus dans sa maison, elle doit organiser et diriger l’accueil de l’hôte de marque qu’Il est. La maison est une figure de l’intérieur, Marthe reçoit Jésus dans son « intérieur ». Marie écoute la parole vivante, celle qu’elle a été rendue apte à recevoir dans « l’intérieur de l’intérieur », dans la nuit de sa conscience revisitée. De même rappelle le bibliste, on reçoit le pauvre dans sa maison. Et on reçoit Jésus dans les profondeurs de la vie secrète, cette vie qui a connu les premières purifications de l’intelligence.
Chacune des apparitions de Marie Madeleine dans les textes, chacun des actes relatés, sont autant d’occasion de révélation par Jésus : par une parabole (la première onction, lorsqu’elle entre pour pleurer aux pieds de Jésus) ; par un silence (celui du Crucifié qui ne laisse tomber de ses lèvres aucune parole pour la femme qui se tient là) ; par le refus apparemment incompréhensible (ne me touche pas).
C’est par cet interdit, dit le bibliste, que Jésus enseigne « une chose cachée depuis la fondation du monde, à savoir la réalité du corps spirituel » (p. 51). Entre la vision et l’audition, se dit toute une transformation. Celle qui permet à la jeune femme de reconnaître la nature du corps de Jésus : un corps ressuscité.
Marie-Madeleine est la grande figure de la révélation du corps ressuscité : elle « est au cœur de la transformation entre le dépouillement mortel et le corps nouveau du Ressuscité, que les quarante jours vont expliciter aux disciples (p.53). Si elle ne peut avoir un contact avec le corps ressuscité, c’est qu’ « il faut une capacité nouvelle qui ne relève pas du souvenir, de la mémoire de l’expérience nouvelle », mais « d’un acte de foi où l’intelligence devient le toucher de la réalité invisible ». Et la femme qui accourt au tombeau n’en est pas encore capable.
La vocation de celle qui a vu le Seigneur est unique ; son rôle ressemble à celui de ces deux anges du tombeau : l’un à la tête et l’autre aux pieds de l’endroit où Jésus a été déposé. Elle est la messagère unique du travail à faire par les apôtres : annoncer la Résurrection. Autrement dit, faire comprendre un « mouvement par lequel on passe de l’invisible divin au visible humain, puis du visible humain à l’invisible et visible divins ». Jésus ressuscité est à la fois visible et invisible car il est présence de signe. « Qui me voit, voit le Père ». L’Impure relevée de son péché, la femme qu’il a rachetée et arrachée à la fosse, nous conduit vers la contemplation des différents états du Verbe divin. Quatre états d’un corps unique dont le symbole des apôtres décrit le cheminement. Le chemin de révélation se clôt dans le moment où Jésus établit Marie Madeleine comme Femme pure, comme figure même dans la nature humaine, de ce pôle capable de recevoir l’inspiration » : « ce qu’elle doit à son tour révéler aux apôtres » et qui fait d’elle « l’apôtre des apôtres ».
Malgré la rage anti-chrétienne à travers les siècles, malgré Marat le sombre, rien ne peut effacer la lumière des trente années de contemplation, de pénitence et d’extase de cette sainte que la grâce a élevée à la même dignité que celle de la sainte Vierge. L’une née et demeurée pure, l’autre relevée par un acte divin par lequel elle a entrevu le Dieu de Miséricorde. La Grâce mais aussi une longue ascèse.
Nous autres, gens de la Provence, qui vivons sur ce « coin enchanté » réputé pour sa beauté et pour la lumière qui inonde ses champs de lavande, ses genêts, ses grands platanes et ses garrigues, ses paysages de vigne, d’olivier et de figuiers, caractéristiques du pourtour méditerranéen, nous autres, quand nous avons un peu lu, nous n’avons pas oublié l’antique unité de cette mare nostrum, fracturée sans retour par les hommes de Mahomet. Cette mer d’où sont venues ces disciples de Jésus pour évangéliser la Gaule. Même quand nous n’avons pas l’accent de Panisse ou de Marius, nous ouvrons le livre de souvenirs de Marcel Pagnol dans les collines du Garlaban et nous lisons et relisons avec délice « le plus grand rêveur de tous les temps » (selon Gaston Bachelard) : Henri Bosco. Nous les lisons et nous savons pourquoi la lumière de la Provence est une lumière unique au monde. C’est parce que la terre même de la Provence a gardé le souvenir des larmes que la sainte a versées dans sa « baume », parce que le ciel se souvient encore de ses extases, que la lumière qui tombe sur cette terre de cailloux et de fenouil fait surgir, mêlé au chant de la terre et au crissement des cigales, dans la nuit étoilée des profondeurs de notre conscience, le murmure de l’inoubliable Messagère :
« Habille-toi de lin et de bonté profonde, Voici venir le Dieu de la douceur unique ».
Ce que le cœur des poètes sait d’intuition profonde, d’intuition sûre, nous pouvons le redécouvrir dans une autre lumière, celle de l’exégèse et de l’interprétation des textes, dans les sept premiers chapitres de ce livre des éditions Grégoriennes dans lequel nous est livré le suprême et sublime mystère de la sainteté de Madeleine, dont les trente années de pénitence sont le signe, trente ans de purifications drastiques de l’intelligence.
Trente ans pour « tisser en elle-même le corps du Ressuscité, par la pénitence pour elle, mais aussi pour tous les membres du corps du Christ ».
Le troisième jour, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples. Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. » Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. » Sa mère dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. » Or, il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs ; chacune contenait deux à trois mesures, (c’est-à-dire environ cent litres). Jésus dit à ceux qui servaient : « Remplissez d’eau les jarres. » Et ils les remplirent jusqu’au bord. Il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent. Et celui-ci goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau. Alors le maître du repas appelle le marié et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. » Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.
L’évangile de ce dimanche est l’un des passages les plus connus. Cet épisode, qui est choisi fréquemment par les fiancés pour célébrer le sacrement de leur mariage, relate le premier miracle de Jésus : la transformation de l’eau en vin aux noces de Cana. Cet événement marque le début de la vie publique du Christ, manifeste sa gloire et amène ses disciples à croire en lui : « Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit à Cana en Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui ».
Ce miracle, accompli à l’initiative de Marie, n’est pas seulement un acte extraordinaire, mais il est un enseignement sur la manière dont Jésus est venu restaurer notre humanité déchue par le péché originel. La Vierge Marie, l’Immaculée, l’a bien compris : en demandant à Jésus d’intervenir, elle nous montre qu’il est capable de renouveler toutes choses en chacun de nous. Jésus, le Verbe de Dieu, fait toutes choses nouvelles et Marie lui demande de réaliser cette nouveauté dans le miracle de Cana.
Les six jarres de pierre mentionnées dans cet évangile peuvent représenter les différentes capacités de notre âme. Ce rapprochement est permis grâce à la lecture du psaume 19 qui décline six modes d’action de la parole de Dieu dans l’âme de celui qui l’écoute. Ces capacités de l’âme ont besoin d’être transformées par l’épistémè[1] de Yod-Hé-Vaw-Héהוהי YHWH (Cf. Ex 3, 1-15), son assertion, ses amendements, son commandement, sa crainte et ses jugements. Elle réforme notre langage. Ces jarres, initialement destinées aux rites de purification deviendront le lieu de la transformation de l’eau en vin, signe d’une vie nouvelle et de l’inspiration divine[2]. Mais la comparaison avec des jarres de notre âme nécessite un « état des lieux » avant d’observer la transformation.
Faisons un petit détour dans le livre de l’Exode où Dieu dit à Moïse : « Je chasserai devant toi les Amoréens, les Cananéens, les Hittites, les Phérézéens, les Hévéens et les Jébuséens » (Ex 34, 11-16). Ces six tribus occupent donc le terrain et vont représenter les déviations ou troubles dans l’âme humaine, conséquences du péché. Pour que l’âme puisse adorer Dieu en vérité, elle doit être purifiée en chassant toutes ces tribus ennemies[3]. Lorsque nous regardons l’étymologie des noms de ces tribus, nous découvrons des aspects troublés ou abimés de notre humanité dans notre relation à nous même, aux autres, à Dieu, à sa Parole et à sa Création. Ils doivent être restaurés par l’intervention divine.
Voici comment chaque tribu trouble une capacité de l’âme, et comment la grâce de Dieu peut la transformer comme Jésus a transformé l’eau en vin :
Les Amoréens (הָאֱמֹרִי) ou Amorites[4] évoquent le langage dévoyé, langue de bois ou nominalisme. Leur expulsion rétablit notre capacité de compétence : la capacité de lire le monde comme une création de Dieu. Lorsque cette tribu est chassée, nous découvrons le langage symbolique et l’intelligence des signes : « L’eau fut changée en vin » (Jn 2, 9). L’eau du langage impropre se transforme en vin spirituel grâce à l’interprétation divine incarnée par Jésus. Le monde devient une épiphanie constante de la gloire divine.
Les Cananéens[5] (הָכְּנַעֲנִי) évoquent les désirs corrompus par l’argent, les échanges pervertis par l’intérêt matériel et le désir mimétique. Alors la monnaie qui est le signe de l’échange est devenue un terme de l’échange. Lorsque cette tribu est chassée, l’âme retrouvesa capacité de pertinence par un désir juste et elle peut alors tendre vers la vérité et la bonté, découvrant la joie du réel transformé par la grâce. Les échanges sont rétablis dans leur justesse. Le rapport exact au monde est comme un vin qui conduit à un contentement profond, prémices de la béatitude, des béatitudes.
Les Héthéens (הָחִתִּי) ou Hittites[6], incarnent la peur paralysante. C’est ce qui nous fait mal agir en toute chose soit en nous paralysant, soit en nous empêchant d’agir, soit en prenant des mesures de précautions qui sont contraires à la justesse en oubliant Dieu. Leur expulsion restaure la conscience de la présence divine en l’âme, c’est notre jarre d’inhérence par laquelle nous sommes éveillés à une crainte révérencielle empreinte d’émerveillement : « Le commencement de la sagesse, c’est la crainte du Seigneur » (Pr 9, 10). Cette crainte n’est pas la peur qu’on éprouve devant la puissance dont on peut tout craindre ! C’est le sentiment d’émerveillement mêlé de recul et de vénération devant la beauté de « l’œuvre de ses mains ». L’âme peut saisir le don de vérité donné par les choses et en elle-même. Cette capacité de l’âme, l’inhérence, lui fait prendre conscience que dans son acte d’être, elle ne subsiste pas en dehors d’un vouloir Divin. L’âme, ainsi libérée de l’angoisse, retrouve la paix et la dignité de sa création divine.
Les Phérézéens (הָפְּרִזִּי) ou Pérézites[7], nomment les préjugés et les idées toutes faites, l’incohérence et l’autoréférence qui fragmentent notre âme. Leur élimination permet une cohérence intérieure fondée sur des relations justes et une adhésion à la vérité. Nous sommes débarrassés de l’incohérence et de la confusion. Cela unit l’âme, restaurée dans sa capacitéde cohérence, à son créateur et la rend capable de discerner et d’agir avec justesse. C’est l’union amoureuse de l’âme avec son créateur, c’est la prise de conscience de l’inhabitation divine. Nous sommes en relation avec le Créateur et tout le créé. En rétablissant la cohérence, l’âme se relie à la vérité, devenant une « maison bâtie sur le roc » (cf. Mt 7, 24). En définitive, l’âme adhère pleinement à ce qu’elle comprend.
Les Hévéens (הָחִוִּי) ou Hivites[8] sont l’image de la prétention et du bavardage stérile dans un langage vain et égocentrique. C’est raconter sa vie ou bavarder selon ce qu’on « sent ». Lorsque cette tribu est chassée, la jarre de l’intelligence s’ouvre à la vérité et à la bonté de la création. Nous retrouvons notre capacité à savoir ce qui est, sans imaginer, avec exactitude. Nous avons le sens des symboles[9], reconnaissant la bonté et le sens des choses : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici, cela était très bon » (Gn 1, 31). L’eau du langage futile devient le vin lumineux de la compréhension.
Les Jébusiens (הָיְבוּסִי) ou Jébuséens[10] représentent le mépris et le dénigrement, notamment envers le sacré et les réalités divines et même envers soi-même. Leur expulsion restaure l’écoute authentique et volontaire, condition première de l’alliance : « Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur » (Dt 6, 4). Sans mépris ni profanation, l’âme est présente au monde sensible et angélique. L’âme est congruente[11], elle écoute, ouverte à la plurivocité de la Parole Divine. Cette capacité de congruence, unifiée dans l’amour, peut recevoir et transmettre la Parole. Si la jarre de la congruence est restaurée en nous, l’ego s’efface pour que la parole divine puisse briller, transformant l’eau de la distraction (dans laquelle on se noie) en vin de l’inspiration. La Révélation est accueillie, Jésus en est la clé.
À Cana, Jésus transforme l’eau en vin pour préfigurer les transformations ultimes et le don de sa vie ; le vin sera changé en son sang : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance » (Mt 26, 28) … Mais ce n’est pas l’heure !
Le miracle de Cana est toujours possible. Nous sommes invités à offrir nos jarres, nos capacités humaines, pour qu’elles soient remplies et transfigurées par la grâce divine. Cette transformation commence par la prise de conscience de nos limites, de nos tribus intérieures qui doivent être chassées pour recevoir l’enseignement divin[12]. Avec l’intercession de Marie, demandons à Jésus d’accomplir en nous ce miracle ! Qu’il renouvelle nos âmes, qu’il change l’eau de notre vie égotique en vin de sa vie divine : « À vin nouveau, outres neuves » (Mc 2, 22) ! Amen.
Fr. Jean-Sébastien de Notre-Dame du Sacré-Cœur (Pissot), ocd[13]
[1] Le mot épistémè a l’avantage de ne pas être bien défini. En grec, il signifie la connaissance, le savoir, le fait d’avoir « l’expérience de », d’être « habile à ». Pour connaître ou savoir, il faut un certain exercice de l’intelligence individuel ou collectif. C’est le fonds culturel confus dans lequel on puise plus ou moins consciemment. L’épistémè à laquelle nous avons recours habituellement est a priori une chose confuse et le concept lui-même en est naturellement flou. Si la Torah est le témoignage de cette réforme de l’épistémè naturelle par l’inspiration divine, elle contient aussi la trace du conflit de sa réception. Et pour résoudre ce conflit, il faut nécessairement une interprétation dont le moteur soit l’esprit même de la révélation. Jésus montrera par son enseignement l’Esprit par lequel l’Épistémè réformée qu’est la Torah donnée à Moïse est parfaitement réalisée. Cf. Excursus 12 dans Froger Jean-François, La Couronne du Grand-Prêtre, Paraboles du Royaume de Dieu, Éditions Grégoriennes, 2021, p. 183-184.
[2] Le vin, nous le savons, a la capacité de délier les langues par les effets bienfaisants de la teneur en alcool. C’est un désinhibiteur. Et la nouveauté ne se fait pas attendre…
[3] La structure de l’âme est repérable par 6 instances décrites dans le Psaume 19 (18). Son bon fonctionnement est permis quand les 6 tribus sont écartées. Le psaume 19 est le chant de l’homme victorieux. S’il s’agit d’une victoire, c’est qu’il y a eu un combat ou une transformation. Le combat lui-même consiste à s’opposer à un ennemi, à un obstacle sur le chemin menant au but fixé.
[4] Racine omer, le langage, le discours, le langage et aussi la racine amar, don de parler, d’ordonner, c’est le langage naturel.
[5] Racine kenani qui signifie le marchand, dans l’échange, faire du commerce, et avoir des bénéfices, l’échange est perverti à cause du désir de l’utile (les bénéfices), c’est quand la monnaie qui est le signe de l’échange devient un terme de l’échange.
[6] Racine hat signifie être effrayé, c’est la terreur, la peur de tout.
[7] Racine pharaz le chef, la tête, le capitaine, et phérazit signifie ville ou village sans muraille, ouverte et sans défense, la ville ou tout ensemble fait corps, là où ça ne fait pas corps c’est là où il y a de l’incohérence.
[8] Racine hava (nom d’Eve), annoncer, raconter sa vie, communiquer ou bavarder c’est-à-dire de faire rentrer le langage dans le bavardage.
[9] L’intelligence du symbolisme est une mise en présence des réalités symbolisées, ce qui provoque ipso facto une transformation interne. Cf. La Couronne du Grand-Prêtre, p. 79.
[10] Racine yabus ancien nom de Jérusalem, racine yabas, être, devenir sec (la yabasha), et avoir honte, bus, fouler au pied, écraser les ennemis (opposé au sacrifice de soi), c’est mépriser profaner. Il y a du mépris, du dénigrement en particulier pour le sacré.
[11] Le terme congruence, surtout utilisé aujourd’hui par les mathématiciens, appartient à la langue française et signifie une exacte proportion entre la cause et l’effet, une adéquation entre deux actions, la convergence de deux séries d’événements. Cf. La Couronne du Grand-Prêtre, p. 347.
[12] Caractérisé par sa véracité, sa plurivocité, son intelligibilité, sa simplicité, son unicité et son exhaustivité.
[13] L’homélie s’inspire très largement de l’enseignement donné par Jean-François Froger sur l’évangile selon saint Jean de janvier à avril 1996, puis synthétisé dans La Couronne du Grand-Prêtre, Paraboles du Royaume de Dieu, Éditions Grégoriennes, 2021, p 339-346.
Pour une évangélisation nouvelle par le bon usage des paraboles dans l’annonce du royaume de Dieu Parution le 11 avril 20225
La nouveauté ne peut pas venir du monde des possibilités déjà éprouvées, mais de l’instauration de nouvelles possibilités par la liberté créatrice, pour faire éclater la nouveauté de la vie.
C’est la clé de ce livre ; ce sera peut-être difficile à accepter, car il propose de changer le paradigme de l’interprétation des Écritures, en introduisant l’étude de la fonction symbolique des objets et l’usage d’une nouvelle logique (quaternaire).
Il fallait aussi mettre le doigt sur la plaie de la crise contemporaine du christianisme, manifeste dans l’apostasie massive des peuples européens, pour éveiller la soif d’une nouvelle compréhension à partir de la résurrection de Jésus, après laquelle il souffle sur ses disciples pour « ouvrir leurs intelligences ». Les paraboles de Jésus sont alors entendues comme hymne à la joie, en recevant les prémices d’une vie incorruptible. Telle pourrait être une « nouvelle évangélisation » ?
Six chemins pour connaître sagesse et intelligence De Jean-François Froger Éditions le Guetteur, 2024 Recension de Marion Duvauchel
Au moins dans le cadre de l’association Eecho, on ne présente plus M. Jean-François Froger. On connaît son travail et en particulier la découverte de la logique réelle qui organise la Parole révélée : une logique quaternaire. Les plus réticents mêmes admirent cette œuvre impressionnante, tout en regrettant son aspect technique jugé parfois rebutant. Comme dans tous les livres de Jean-François Froger, nous avons accès au texte araméen et à une traduction dans la langue d’arrivée proche de la langue de départ, avec des références précises pour ceux qui voudraient aller plus loin dans ce domaine. Cela est très précieux. On ne peut que l’en remercier, comme aussi remercier l’éditeur qui affronte les contraintes techniques de l’araméen. Avec ce petit livre, il sera difficile, même aux grands Réticents devant l’Éternel de déplorer la place prise par cette logique quaternaire ou par une métaphysique ardue. Et pour cause : ce livre est le fruit d’une retraite et son objet est l’un des textes de Jésus les plus populaires sinon les mieux compris : les Béatitudes. On en compte neuf. Neuf Béatitudes, mais six chemins. Annoncés en p. 13 sous le titre: « A l’orée des chemins ». C’est tout un programme : « connaître la sagesse et l’éducation ; comprendre les paroles de l’intelligence ; recevoir une éducation sensée (justice, jugement et droiture) ; donner aux naïfs la ruse, au jeune, connaissance et pensée ; comprendre parabole et interprétation, les paroles des sages et leurs énigmes ». Neuf Béatitudes donc mais six chemins, donc six chapitres. Pourquoi ? Parce que si le texte des Béatitudes se présente sous la forme discursive d’une énumération, il est organisé par une structure, structure qui fait l’objet d’une explicitation tout au long de cet ouvrage, sous ses deux formes : la structure en carré et la structure en « tresse ». Chacun de ces chemins suivis ou à suivre relie la (ou les) Béatitudes évoquée(s) à un ensemble qui la sous-tend : les vertus (l’humilité et la pauvreté) ; la miséricorde, reflet de la Miséricorde divine dont on retrouve l’expression dans l’une des formules du Notre Père (pardonne nous… comme…) ; ou encore la persécution, celle du disciple et celle de l’Église. Mais aussi les paraboles ou l’enseignement même de Jésus, qui se trouve ainsi explicité et éclairé ; ou encore la prophétie d’Isaïe qui annonce que toutes larmes seront essuyées de nos yeux : Heureux les affligés… Cette « structure » n’est pas uniquement un exercice formel : elle rappelle que, au-delà de l’énumération qu’impose la langue, les Béatitudes constituent une composition unique, un « tissage » dans une unité où brille l’intelligence divine de Celui qui nous a laissé ce texte unique, qui est d’abord une parole orale. Au-delà d’un petit guide lumineux pour entrer dans l’enseignement de Jésus, le lecteur trouvera là une initiation à la « forme » même qui organise cet enseignement, en en révélant le point nodal : la Miséricorde. Si chacun des six chemins proposés s’appuie sur des paraboles ou des passages de l’enseignement de Jésus, comme aussi de la Torah, il renvoie lorsqu’il y a lieu à la Prière des Prières : le « Notre Père ». Et à sa dernière formule : Délivre-nous du Malin. Ceux qui ont suivi les enseignements de M. Froger sont conscients des enjeux d’une traduction juste, et donc d’une juste interprétation. Ils sont conscients que 2 c’est aussi dans l’Église qu’il nous faut ces « pauvres dans le souffle », (pauvres en esprit) : ces chrétiens qui reçoivent la parole telle qu’elle est donnée, sans la rapporter à leur expérience individuelle ou à un savoir culturel, y compris le savoir ecclésial ou théologique, souvent éperdu d’abstractions, ou pire encore, appauvri ou dénaturé par les multiples tentatives d’accommoder cette Parole à l’esprit du temps. Ainsi chaque chemin est le lieu d’explicitation de ces formules dont nous ne mesurons pas toujours, faute d’une interprétation ad hoc, qu’elles nous parlent du Père et de l’identité véritable de Jésus, le Messie ; qu’elles parlent du Royaume, de Satan, de la justice et de la miséricorde, de l’effroyable concurrence qui organise la vie des hommes et rend toute paix impossible en dehors de celle de Jésus, et même du devenir des morts. C’est dans le sixième chemin qu’on trouve, plus explicitement, les relations mutuelles des neuf Béatitudes et la logique qui les sous-tend. Les grands Réticents vont encore grogner : il y a trois pages sur la logique. Pour certains ce sera encore trop : oui, mais ces trois pages s’ouvrent sur des lignes lumineuses sur le royaume de Dieu. Suggérons qu’ils acceptent, au moins le temps de la lecture, d’être « pauvre dans le souffle », et de se donner ainsi une chance d’entrer dans la compréhension, au-delà de l’encodage logique, de la puissance transformante de l’enseignement de Jésus. Ajoutons que cet encodage logique nous est exposé avec le maximum de clarté dont il est possible de faire preuve, que c’est une découverte majeure, pour ne pas dire décisive, et que tout ce qui est vraiment nouveau requiert quelque effort. Ne fermez pas le livre : il y a des notes… La première est un petit développement sur la note de bas de page n° 2 de la page 72. Il s’agit d’une analyse précise autant que prudente sur l’analogie spatiale énigmatique et même problématique du Shéol et de la Géhenne. En deux pages éclairantes, tous ceux qui s’intéressent à l’épineux problème du « devenir des morts » trouveront là de quoi nourrir leur méditation et peut-être, orienter leur réflexion future. Car, n’est-ce pas, il est un péché que la Miséricorde elle-même ne saurait racheter ou pardonner : le péché contre l’Esprit, conséquence d’une abominable confusion. Et c’est bien l’enjeu de la dernière formule du Notre Père : ne nous laisse pas entrer dans la tentation de la confusion, celle de confondre Dieu et Satan. Celle aussi de douter de l’inspiration du Saint Esprit et donc de douter de Dieu, de sa Bonté, et donc de sa Miséricorde. Car Satan seul nous abuse. Dieu ne nous abuse pas. Il dit vrai, vraie sa Parole, vraie sa Promesse, accomplie en son Fils, son Envoyé. « La persécution la plus intime et la plus lancinante que le monde puisse nous infliger, c’est le doute » (p. 110). Le doute, ce corrupteur de l’âme… Contre ce mal vrai qui dissout la volonté, ronge la foi et corrompt l’intelligence, (ce mal qui sans nul doute a conduit à l’apostasie des peuples de l’Europe), il y a une antidote : les Béatitudes. Et les six chemins pour entrer dans une compréhension plus profonde de ce qui fait la force de ce texte et son énigmatique splendeur : Celui qui en est la Source et l’Auteur.
Jean-François Froger, Du combat spirituel à la déification, Éditions grégoriennes, 2019 Recension Marion Duvauchel
Publié il y a bientôt six ans, Du combat spirituel à la déification est la mise par écrit d’un cycle d’enseignement donné dans le cadre d’une retraite animée au monastère de Cerfroid, pendant trois années consécutives. L’objectif affiché en était de « disposer les cœurs et les âmes à une « rencontre » où « la fine toile qui nous sépare de la connaissance véritable de la divinité pourra être brisée » (p. 136). Avec ce livre, l’enseignement d’abord réservé à quelques-uns est ouvert à tous ceux qui sont disposés à « l’entendre » c’est-à-dire à le laisser retentir dans leur cœur et leur intelligence, à le laisser mûrir aussi et donner du fruit.
Pour comprendre l’objectif énigmatique de ces trois retraites, il faut commencer par la mi-temps du livre : un long passage in extenso de saint Jean-de la Croix, dans lequel notre saint patron des mystiques décrit précisément les trois « toiles » qui nous séparent de Dieu. Les deux premières toiles qu’il faut briser, toute l’histoire de l’ascèse chrétienne nous en donne le rude mode d’emploi : vendre ses biens pour les donner aux pauvres, se raser ou de se couvrir la tête avant de se cloîtrer, passer de longues heures en prière, jeûner, se mortifier. La voie de saint Jean est la voie de l’amour et l’ascèse de son siècle n’est plus la nôtre. J. F. Froger propose une voie de connaissance qui implique un autre type d’ascèse et de renoncement : elle invite à une conversion de l’intelligence.
La piété nous presse de changer de conduite pour abandonner les convoitises de ce monde (…). Elle ne nous presse pas moins de changer de conduite en ce qui concerne l’intelligence », tout simplement « parce que la corruption de l’intelligence est invisible et insensible ».
Il faut briser la toile qui empêche l’intelligence humaine de communiquer avec l’Intelligence souveraine, l’Intelligence divine, dans un échange sublime qui est une union et que saint Jean de la Croix appelle « une rencontre ». Il faut libérer l’intelligence de la toile qu’elle a construite elle-même, toile d’idées fausses qui l’enserrent et l’empêchent d’entrevoir la Bonté, de l’Amour, la Beauté de Dieu. Il faut en particulier « sortir de la pensée expérimentale et des modèles intellectuels forgés par des siècles de réussite matérielle et technique (…) de cette sagesse conduisant au nihilisme, au transhumanisme dont l’image la plus sûre est celle des cadavres embaumés dans les pyramides ». (p. 224).
La vraie mort n’est pas la mort biologique mais la mort spirituelle, et le plus grand obstacle« est en nous-mêmes, dans la façon dont nous écoutons et comprenons ». Mais aussi dans la façon dont nous recevons, à commencer par la vue réelle du péché, qui est « notre incapacité d’être dans la foi et la justice ». Douloureuse expérience, mais salvifique puisqu’elle fait entrevoir l’Amour de Celui qui enlève le péché du monde. Il faut donc comprendre la nature même de ce péché à travers les images qui nous informent : le sens de la nudité honteuse d’Adam et Eve, la « chair de péché » qui est la nôtre. Toute une exégèse est développée qu’il nous suffit de suivre et de méditer.
Cette libération, qui est délivrance et guérison requiert d’abord un combat. C’est l’objet des quinze premiers entretiens. Qui combattre ? les « principautés et des puissances mauvaises ». « Au cœur de la recherche scientifique se cachent de féroces démons ». Nous commençons à voir les fruits mauvais des énergies mauvaises libérées dans l’histoire, de « ces esprits rebelles qui suscitent toujours la même convoitise vers une intelligence parfaitement auto-référente ».
Le remède, c’est de se renier soi-même. Première toile à briser. Suivre le Christ implique l’expulsion du démon mais aussi la crucifixion de l’homme intérieur et de ce à quoi il s’est identifié.
Ces chapitres/entretiens n’éclairent pas seulement les images du combat que fournit saint Paul – l’épée de justice, la cuirasse, les chaussures, le bouclier, le glaive, ils sont aussi destinés à éclairer « le rôle du monde angélique qui se révèle dans la lecture croisée des Écritures et de l’enseignement de Jésus ». C’est précisément cette lecture croisée qui nous est proposée en s’appuyant sur une grande diversité de thèmes reliées entre deux : le don de force et de ce qu’il signifie ; les conditions de l’amour fraternel et du monde qui vient… Comme un prisme qui réfléchit la lumière par tous ses côtés.
L’auteur rappelle encore s’il en est besoin que « les Écritures ne manipulent pas des abstractions mais des images », c’est le sens des images qui nous est restitué toujours accompagné des passages de la Torah ou de l’Évangile, traduits au plus près du texte araméen de départ et de la trace orale. ».« On ne peut comprendre la parole sans un don divin d’une inspiration angélique juste ». C’est tout le sens de la parabole du semeur, fondée sur « un schème universel dans les Écritures, à savoir le cycle des six jours de la Création » (p. 175) Car « penser la Création » est l’une des ambitions du bibliste, mais six pages, ce n’est pas assez et pour ceux qui ont soif, il y a Le livre de la Création.
Cette deuxième suite de quatorze chapitres touche plus précisément à la « connaissance de Foi ». C’est donc les images qu’il faut contempler, à commencer par celle du Temple, « présence divine avec le peuple, dont la connaissance commence avec Moïse » et qui fonde la notion de « grand-prêtre.
Ceux qui ont lu les ouvrages majeurs de Jean-François Froger (La couronne du grand-prêtre, le livre de la nature humaine et le Livre de la Création) peuvent retrouver là ce qu’il y a développé en s’appuyant plus largement sur la logique quaternaire. Ceux qui n’ont pas ouvert cette « somme en trois volumes » disposent là d’une excellente introduction à cette « nouvelle apologie du christianisme » (pour reprendre le titre d’un de ses ouvrages).
Sous une forme un peu « étoilée », on retrouvera ou l’on découvrira la signification de la circoncision ; pourquoi les disciples ne pouvaient comprendre l’enseignement de Jésus qu’une fois qu’Il était ressuscité ; le paradoxe du Temple, dont le modèle est la « seule image pédagogique à notre disposition et qui est une la représentation terrestre de la réalité céleste qui est la présence de Dieu parmi les hommes » ; que les sexes n’ont pas leur sens dans leur fonction biologique, (ce qui feraient de l’homme et de la femme des animaux), mais qu’ils sont signes d’une différenciation créatrice figurée à travers ce Temple, la maison du Père ; qu’il est la figure de la nature humaine qu’il nous faut comprendre pour devenir authentiquement des disciples et « être engendrés de Dieu ».
Ce Temple dont il faut chasser les marchands, comme il nous faut les chasser de notre cœur.
L’image essentielle de cette deuxième suite d’entretiens n’est plus la toile à briser, mais le voile qui couvre le visage de Moïse, et nous suivons le « plus grand des prophètes » à partir de la lecture de l’Exode au chapitre 34.
La troisième partie est le volet plus anthropologique, dans une tonalité plus nerveuse. « Tous les refus que Jésus a essuyé viennent de la préséance donnée à l’interprétation philosophique des Écritures et de la liturgie du Temple ou encore selon l’interprétation mondaine des scribes et des pharisiens » qui ont remplacé la Torah par la coutume. Les imaginations philosophiques comme aussi les apports d’une anthropologie évolutionniste (donc darwinienne) font partie de cette « toile » qu’il faut laisser brûler pour permettre une « rencontre ». Cette troisième partie est aussi l’occasion d’abattre quelques idées répandues, voire quelques sottises, sur l’idée de religion, l’existence de Dieu, sur le rituel, la loi et son principe pour la vie des hommes et la question de l’autorité et de sa source.
C’est encore et toujours la question de la connaissance qui est posée, et de la révélation dans la connaissance humaine. C’est saint Pierre Chrysologue qui vient cette fois à l’appui :
« La connaissance de Dieu est maintenant dans la pâte : elle se répand sur les sens, elle gonfle les cœurs, augmente les intelligences, et comme tout enseignement, les élargit, les soulève et les épanouit aux dimensions de la sagesse céleste. Tout sera bientôt levé. Quand ? A l’avènement du Christ ».
Là où il y a connaissance, il y a enseignement et il y a parole. Ce qui donne la vie, c’est la conformité à la parole divine, parce que c’est elle qui donne la vie. Les choses cachées depuis la fondation du monde sont révélées aux petits et aux humbles, ceux dont l’intelligence n’est pas ligotée par cette toile qui empêche de laisser passer la Lumière et de la désirer.
La première toile que décrit saint Jean de la Croix est temporelle. La deuxième toile est naturelle, elle fait « division » entre Dieu et l’âme. Une fois spiritualisée et déliée, alors la Divinité se laisse apparaître à travers elle. La troisième toile que saint Jean décrit, moins rigoureuse, est dite « sensitive », c’est celle qui comprend l’union de l’âme et du corps. La vraie mort n’est pas la disjonction de l’âme et du corps, la vraie mort est spirituelle.
Quand les trois toiles sont brisées, alors l’homme entre dans la Vie.
Jésus sauve pour la déification de l’homme. Il n’est venu que pour cela. Le combat spirituel n’a de sens qu’en vue de ce projet divin, de cette volonté divine à laquelle il nous faut librement consentir parce que cette volonté est souveraine Intelligence et Amour souverain et elle est exprimée dans l’une des clauses de la prière bien connue des chrétiens : « Que Votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ».
La volonté de Dieu, c’est le salut de l’homme, donc la divinisation de la nature humaine corollaire de la déification de l’âme « ce joyau ». C’est ce que dit la théologie.
Encore fallait-il qu’on s’employât à le démontrer.
Voilà, on s’y est employé, on salue, on rend grâce !
Moïse et Œdipe, Jean-François Froger, Éditions Grégoriennes, 2024 Recension Marion Duvauchel
C’est parce que, dans ce qu’on appelle les « mythes », les hommes projettent des données internes lorsqu’ils parlent des « « dieux » ou des « divinités », qu’Œdipe est « une source de connaissance de première grandeur » : c’est le premier des partis pris du dernier livre de J.F. Froger. Et puisque le mythe d’Œdipe vient de la Grèce, plutôt que se plonger dans la lecture de la Métapsychologie de Sigmund Freud ou dans Moïse et le monothéisme, relisons donc les tragédies de Sophocle (Œdipe roi, Œdipe à Colone), la source première du mythe bien avant les élucubrations des psychanalystes viennois. Car « Freud a rendu très célèbre le meurtre d’un père (Laïos) en faisant jouer inconsciemment l’horreur du parricide, mais en promouvant cet exemple comme un paradigme universel : tout fils devrait vouloir au moins inconsciemment, tuer son père et épouser sa mère. Il fait oublier que ce meurtre et cet inceste sont dans leur principe le résultat de la volonté meurtrière du père sur son fils nouveau-né, avec le consentement de la mère ». (p. 227). Funeste oubli qu’il convenait de réparer.
Le mythe, nous dit-on dans ce livre,parle de structures inconscientes en l’homme, et des structures qui ne varient pas ». Ce n’est pas tout de le dire, il faut expliquer. Deux questions se posent : « tous les comportements sont-ils liés à la vie psychique ? Tout comportement est-il interprétable « ? À la première question, la réponse est non. Tiens donc, il existerait des comportements tout à fait indépendants de la vie psychique ? Chez l’homme, tous les comportements signifiés par des signes corporels sont liés à la vie psychique et c’est pourquoi quand nous voyons un homme, nous voyons « une âme ». Le mythe reflète l’état de l’homme mais dans « une sorte de moyenne universelle ». Le « parti pris » va donc consister à regarder les images du mythe, à tenter d’en comprendre le sens et pour le cas qui nous occupe, répondre à la question : de quoi Œdipe est-il donc la figure ?
La question engage aussi la philosophie. « On ne peut parler d’homme qu’au moment où potentiellement la conscience et la liberté sont possibles ». C’est ce à quoi la philosophie classique, globalement, a tenté de répondre jusqu’au moment où elle a abdiqué, frappée en son cœur même par ce que Freud appelait les blessures narcissiques : Marx, Darwin, et … Freud lui-même. Avec Moïse et Œdipe, foin de blessures narcissiques, foin de toute la littérature psychologique et psychanalytique supposée nous éclairer sur nous-mêmes et nous aider à vivre, il faut réfléchir : « Le seul problème psychologique consiste donc à déterminer, à connaître, la forme psychique permettant une telle naissance. C’est ce passage-là qui réordonne toute la vie antérieure et lui donne un sens. Sinon, il n’y a aucun critère de santé psychique ». Et le mythe d’Œdipe nous offre une image de ce passage et même tout le récit de la naissance à la mort conduit à ce passage, qui est une « assomption ».
Doit-on poser a priori un modèle conceptuel de l’Homme pour analyser son comportement à l’aide de ce modèle ? Peut-on se passer de modèle ? La question n’a rien d’oiseux, elle est même l’occasion de mettre deux ou trois choses au point : non, nous ne sommes pas des animaux récepteurs. A côté des découvertes précieuses (le style oral), l’idée que Marcel Jousse imposait comme une nécessité théorique – l’homme est un composé humain- est erronée. Et pour cause, ce serait admettre que l’homme est (n’est que) ce fameux animal raisonnable ayant un corps et une âme, héritage d’Aristote assumée dans la philosophie scolastique, stérilisante sur ce point car alors « aucune synthèse ne peut plus rendre compte de son unité ». Piégée au fond de cette impasse, l’anthropologie chrétienne s’y est enlisée.
Il faut donc lire le mythe selon la méthode de M. Froger : une interprétation qui tienne compte de la symbolicité des images pour répondre à la question « de quoi Œdipe est-il le symbole « ? Pour cela, seront examinées et expliquées les « images « constitutives de cet improbable et inconfortable récit, de la naissance à la mort : « les pieds du roi », « La mère d’Œdipe », « Le choix ou la flèche d’Apollon », « la Sphinge », autant de chapitres. Mais aussi : « Les bâtons et leur usage », où apparaît plus nettement la méthode comparative. Œdipe, contrairement à Moïse, ne soupçonne pas l’usage vrai du bâton. Il s’en sert d’abord comme arme (comme on se servirait d’un gourdin) pour tuer le gêneur qui lui interdit le passage, (et qui s’avère être son père génétique) puis comme bâton de vieillesse, comme « soutien à sa déficience génétique ».
Puisqu’il est question de la vie psychique, il faut examiner les conditions et circonstances de la naissance et les « décrets de mort » qui pèsent sur celles-ci : pas seulement sur celle d’Œdipe (Œdipe à Colone) ou même sur celle de Moïse mais aussi sur celle de Jésus. Chapitre essentiel qui nous donne un premier « modèle » de la vie affective humaine, tiré de l’interprétation des images qui organisent la mort d’Œdipe, comme autant de symboles inconscients de cette vie affective : le liquide (l’inconscient), le texte (la rationalité) et le contrat (la vie sociale).
Comme nul ne saurait l’ignorer, pour naître, il faut la mère, mais il faut aussi le père. Or, ce que la doctrine freudienne a passé sous silence, c’est la faute à l’origine de cette tragédie : l’amour homosexuel de Laïos, le père d’Œdipe. C’est l’objet en particulier du chapitre XIII, « Faire face à la Sphinge », chapitre audacieux pour ne pas dire risqué, (chapitre un peu technique aussi) puisqu’il s’agit de montrer comment le mythe « dévoile subtilement une relation entre l’inceste et l’homosexualité » en même temps qu’il fournit « une description des fondements psychiques de l’homosexualité en tant que refus de la conception, puis refus du concept et débordement des représentations mentales ». L’homosexualité, nous dit l’auteur, c’est le refus de l’altérité dans la distinction. Si Laïos refoule sa transgression, Œdipe accomplit le refoulement de ce refoulement. Il ne lui restera plus qu’à s’aveugler à son propre aveuglement, dans une image à la structure symétrique et inverse. Ouf…
Et Moïse ?
Bien des chapitres sont en effet consacrés au malheureux roi de Thèbes et déploient pour chaque symbole ou événement de sa vie malheureuse une analyse minutieuse. C’est qu’il faut libérer Œdipe de Freud, ce n’est pas la moindre des vertus et des ambitions de cet ouvrage. C’est aussi que le mythe grec ne se comprend pleinement qu’au regard de l’autre système d’images, celui de la Révélation. Il y a de la pédagogie dans cette exposition en seize chapitres et elle a à voir avec les partis pris de l’auteur. Ainsi, la Sphinge et le Buisson ardent sont les deux figures antinomiques de l’homme confronté à l’énigme de sa propre nature. Œdipe nous révèle l’homme œdipien : celui « qui prend sa raison dévoyée pour sa propre inspiration ». Moïse montre le processus de libération (ch. XIV) qui commence avec la « Sortie d’Égypte » où l’on voit repris un ensemble d’images avec lesquelles nous sommes désormais familiarisées, puisque nous avons parcouru les trois quarts du chemin et des chapitres.
Comme le souligne le préfacier ( le père Saez), trois langages s’éclairent ainsi réciproquement : celui du mythe grec, celui de la figure mosaïque et celui qui est propre à la Révélation chrétienne. « Le langage employé par l’homme achevé pour se faire comprendre de ceux qui ne le sont pas est précisément le langage symbolique, parce que ce langage est celui même de l’âme-en- relation-au-monde ». C’est le langage de Jésus, mais c’est aussi le langage des images de la Révélation.
Nous pouvons alors suivre « l’itinéraire des plaies », itinéraire de régénération de la totalité du psychisme humain décrit selon la structure que les lecteurs de M. Froger connaissent : la structure quaternaire. Cet « itinéraire » nous fait parcourir, par étapes, un chemin de connaissance qui est un chemin de guérison, et donc de liberté.
Ce livre s’adresse à tous ceux qui ne consentent pas à l’idée de l’homme imposée depuis que ces trois plaies mentionnées plus haut, enfoncée dans les flancs de l’histoire et de la pensée, les gangrènent; il est une antidote pour ceux qui cherchent une issue à l’impasse où la méchanceté des hommes a jeté l’anthropologie ; il s’adresse plus simplement à ceux qui auraient envie de relire Sophocle avec une clé herméneutique nouvelle ; il intéressera tous ceux qui s’intéressent aux voies du symbole et qui cherchent souvent dans des gnoses chimériques une réponse imaginative à de vraies questions ; il s’adresse surtout à ceux qui ont envie de mieux comprendre leur tradition chrétienne, à travers la Révélation et les images qui ordonnent cette Parole énigmatique souvent bien mal comprise et plus souvent encore mésinterprétée.
Il s’adresse surtout à tous ceux qui, un jour, ont senti peser sur leur existence humaine l’ombre sinistre de ce « décret de mort » et qui ont aspiré à s’en voir libérés, c’est-à-dire à une nouvelle naissance.
« Il faut donner l’occasion à une liberté de naître ».
Jean-François Froger, Une nouvelle apologie du christianisme, éditions Grégoriennes, 2022 Recension Marion Duvauchel
Depuis des lustres, l’Église s’évertue à défendre l’alliance de la foi et de la raison sans réussir complètement sa démonstration. Probablement parce que l’opposition que des siècles de réflexion sur la question ont fini par imposer n’est pas aussi pertinente qu’il y paraît. Il faut donc qu’elle recouvre une autre structure agonistique : celle de la Révélation et de la logique. Mais il n’est pas aisé de bousculer des siècles de réflexion théologique. C’est pourquoi « une nouvelle apologie du christianisme » n’est ni un vain titre, ni un travail vain. Et puisque l’on nous affirme que « la droite raison démontre les fondements de la foi », l’auteur insiste sur ce point de son travail : « de bien définir de quoi il s’agit lorsqu’on parle de raison, de « droite raison et de connaissance par la foi ». Il me semble qu’il a raison et qu’il était temps !
L’idée au fond est simple : la raison n’est pas indépendante de la Révélation, mais pour le comprendre il faut oublier la perspective héritée d’Aristote, celle d’une logique binaire. C’est le présupposé massif de M. Froger depuis une bonne cinquantaine d’année, armature d’une conception nouvelle concernant la place centrale de la logique dans la compréhension des Écritures et l’idée que la Révélation est exprimée dans une logique « quaternaire » correspondant aux « structures logiques sous-jacentes à la pensée hébraïque inspirée ». Toute la connaissance humaine serait ainsi descriptible par une structure relationnelle quaternaire. Cela demande déjà quelque effort mais cela est audible et cela a été présenté dans la plupart de ses travaux de bibliste et en particulier dans ce qui constitue une sorte de « somme » : Le livre de la Création, Le livre de la Nature humaine, et La couronne du grand-prêtre.
Mais avec Une nouvelle apologie du christianisme », dont le sous-titre est expressif – propos pour une logique intégrale » – il s’agit d’aller plus loin encore. Une logique intégrale ne rend pas seulement compte de la connaissance, elle doit rendre compte aussi de la Vie ; il s’agit donc de montrer que la vie obéit, elle aussi, à la logique, puisque la Vie éternelle, c’est de Te connaître. Il faut donc que la logique soit compatible avec la vie, parce que Jésus se décrit comme étant précisément « la Vie. La logique quaternaire est la logique de la vie, la logique qui gouverne la réalité et celle qui gouverne l’expression de la Parole, et c’est une logique du Bien, parce que, comme le rappelle le père Saez dans sa préface, il n’y a pas de logique du mal.
Mais ce n’est pas tout de le dire, il faut l’établir, c’est là que les choses se corsent.
Dans un tableau d’ensemble, le préfacier a regroupé sous la forme d’un tableau la « Quaternité de la vie humaine » telle qu’elle est développée dans une sorte de première partie du livre (les vingt premiers petits chapitres) : c’est un grand service qu’il rend au lecteur. Lire avec attention le plan détaillé placé à la fin peut aider à une intégration plus facile de données parfois complexes. Et la première partie consiste à déployer cette logique avec la précision qui est le propre de l’auteur, réassumant des concepts que nous connaissons bien : la personne, la liberté, les formes du monde, la nature, l’unicité et la multiplicité. Mais dans une structure inhabituelle, complexe sans aucun doute, parfois technique, inutile de le nier, mobile car elle offre des points de vue différenciés, un système cohérent qui ouvre des perspectives nouvelles pour comprendre la source de la liberté humaine, admettre que cette source est inconnaissable en dehors d’une révélation. Et que cela rend compte de ce qu’on a coutume d’appeler « la personne ». On trouve donc dans cet ouvrage une juste appréhension de ce qu’est l’intelligence, de ses opérations essentielles ; une juste appréhension de la parole et du langage (et du malheur de vivre dans une parole pervertie) ; on y trouve une définition de l’analogie d’une précision quasi maniaque, prolongée dans la notion de figure. Et c’est là que les choses se compliquent un peu puisqu’elles commencent à apparaitre exprimées selon un formalisme qu’on peut trouver rebutant.
Tous ceux qui ont lu Balzac ou Victor Hugo le savent : il est parfois sage de passer quelques pages de descriptions plutôt que d’abandonner le livre. C’est une liberté que l’auteur, avec sagesse, concède à son lecteur pour les aspects techniques. En première lecture seulement. Il en faut donc une deuxième, et sans doute même deux autres encore. C’est que si les Écritures sont un jardin, on n’y entre pas sans quelque préparation, à commencer par une purification de « notre usage de la langue et de notre accès à la parole ». Car l’outil premier du langage, c’est l’analogie. Or, il est impossible de parler de logique hors d’une langue et d’un système de signes, et ce système de signes, même lorsque nous le maîtrisons fonctionne dans la réalité que la théologie a appelé « la chute ». Mais au-delà des déficiences de l’intelligence humaine, la réalité appréhendée représente elle-aussi une difficulté. Il est une loi formulée clairement : « pour entrer dans un discours de type logique, il convient de distinguer la structure du discours d’avec la structure de ce qu’il décrit ». L’intelligence met de l’ordre dans la perception des choses en les nommant, c’est-à-dire en fabriquant des classes d’objet et elle met de l’ordre dans les relations que les choses entretiennent entre elles. Ainsi en pédagogue avisé, l’auteur nous entretient du travail même de l’intelligence, dans ses essentielles opérations, dont la première consiste à créer des distinctions. Et ce travail de l’intelligence se fait dans la parole, qui fait partie de l’essence de l’homme. Il est bon de le rappeler dans un monde de bavardage où l’on déparle le plus souvent, et où l’on croit que la communication, c’est de la parole.
Décrire un système ne suffit pas, il faut en montrer les applications. S’il y a une première partie (l’exposé du système) il y a nécessairement une seconde partie : c’est celle qui présente plusieurs applications de la structure mise en évidence et précisément décrite. Plusieurs analyses logiques sont proposées, d’abord selon la logique ternaire (les tentations au désert, l’échelle de Jacob) puis selon la logique à la fois ternaire et quaternaire.
Ainsi, l’épisode de l’échelle de Jacob fournit un exemple de représentation imagée qui porte en particulier sur la source de la liberté, sur l’unicité de la personne humaine. L’analyse montre la transformation que doit subir Jacob pour devenir le père de ceux qui auront YHVH pour divinité (p. 176 et suivantes).
La troisième analyse logique est celle de la guérison de Bethsaïda et la signification de l’aveuglement spirituel dont la cécité est en quelque sorte la « figure ».
Suit une « application approfondie » (24, p. 200 et suivantes) : celle qui porte sur les états du corps de Jésus, où toute la structure quaternaire est en jeu, pas seulement la logique ternaire. Ce corps se montre selon trois états : le corpus natum, le corpus surrectum et le corpus sessum. Un même corps exprime la manifestation de la Parole divine dans le monde, mais sous trois formes qui en montrent des aspects différents. Voilà qui pourrait contribuer à renouveler toute la théologie et qui sait, convaincre avec des arguments de type logique tous ceux que rebutent la langue appauvrie et bavarde qui nous asphyxie. Et apporter des éclairages nouveaux sur le mystère de ce corps « passe-muraille » et de la formule « qui siège à la droite du Père ».
Et enfin, en dernière apparition mais non la moindre, l’épisode des noces de Cana constitue là encore un domaine d’application des structures à la fois quaternaires et ternaires, occasion pour l’auteur de montrer la structure de la famille et « la nature du contrat liant un homme et une femme pour qu’il soit réellement possible de « faire de l’homme » (p. 225). C’est d’actualité…
Ajoutons que, enfin, nous est proposé une analyse pertinente et recevable du mot de Jésus à sa mère et de la réponse inspirée de la sainte Vierge (faites ce qu’Il vous dira), échange qu’on avait fini par renoncer à interpréter vu que cela ne convainquait personne.
Il ne faut rien omettre de lire, en particulier l’exergue du pape Benoit XVI (21 mars 2007) et cette formule inoubliable : « le Christ est la vérité, non la coutume ».
La Quaternité de la Vie, qui obéit à la logique du Verbe divin, (le Logos de notre système conceptuel), c’est l’objet de de ce livre. Un peu technique bien sûr, mais parce qu’il s’adresse à un public différencié : il y en a qui aiment la logique et que le formalisme mathématique ne rebute pas ; il y en a qui font comme avec les descriptions de La Comédie humaine, ils passent ce qu’ils ne comprennent pas, ce qui les ennuie, ils y reviendront plus tard, en deuxième lecture. Il y a ceux qui trouvent cela vraiment par trop technique, et c’est à eux que s’adresse cette recension, en espérant qu’elle les aidera à surmonter les difficultés inhérentes à une pensée radicalement nouvelle, qui exige une transformation du lecteur.
Et il y a ceux qui, comme moi, se résignent à ne rien comprendre à la démonstration mathématique en trois pages de Robert Lutz intégrée dans « une nouvelle apologie », et qui espèrent que cela n’hypothèque pas leur compréhension de ce qui est essentiel.
Le protocole d’accès nous est d’ailleurs donné dans les dernières lignes de l’exergue :
« Prie avant tout pour que les portes de la lumière te soient ouvertes, parce que personne ne peut voir et comprendre, si Dieu et son Christ ne lui accordent pas de comprendre. » (Dial,7,3).
L’accès à la connaissance est aussi une affaire de prière.
Nous prions le « Notre Père » plusieurs fois par jour, c’est la prière donnée par le Fils suivant laquelle, nous demandons : « que ton Nom soit sanctifié ». Le « Cantique des cantiques » de Salomon enseigne : « Plus que l’odeur de tes huiles les meilleures, ton Nom est une huile qui s’exhale ». (Ct 1, 3). On ne peut parler de ce Nom que dans la prière et dans l’adoration au cours desquelles on peut en percevoir quelque peu, la beauté, la cohérence, le sens.
Il est bien entendu que le nom de Dieu n’est pas « Dieu », ni « Père » qui sont des noms communs. Ce Nom était prononcé selon une tradition vivante une fois par an par le grand-prêtre dans le Saint des saints mais cette tradition a été perdue. Il en reste l’épellation, le saint Tétragramme, fait de quatre lettres qui ne font pas nombre mais qui ont du sens. C’est comme si ce nom était fait de quatre mots qui seraient Yod, Hé, Wav, Hé, l’épellation des quatre lettres hébraïques.
Ce Nom est une Révélation, il en est parlé dans toute l’Ecriture et il est possible d’en explorer le sens en épelant le saint Tétragramme.
Vient d’abord la lettreyod,
la dixième lettre de l’alphabet hébraïque qui évoque la main : yad. La main réfère à l’image de la main humaine et à sa signification symbolique. Elle est la dixième de l’alphabet mais le comptage sacré, avec son décalage de trois, lui donne la valeur treize.
Il faut regarder et comprendre ce que représentent la figure et le type de la main humaine pour trouver ce qu’elle pourrait signifier dans la divinité et en voir la ressemblance analogique. La main nous sert dans presque toutes nos actions. Cela nous conduit à considérer toute la gestuelle humaine comme un reflet mimétique des formes du monde puisque nous agissons avec les mains, au travail, à la maison, partout où nous sommes et que nous agissons pour transformer ce qui est : laver une assiette sale ou planter un clou. Avec la main, nous sommes à la racine analogique de l’acte. C’est une forme d’appropriation, comme une espèce d’appréhension ou de compréhension. L’analogie du vocabulaire est là pour le souligner.
La première lettre du Nom de Dieu supporte analogiquement l’appréhension, la compréhension et l’action que l’on vient de citer. Quand nous parlons d’un agir divin, c’est lié à cela. Nous voyons d’abord cet agir sous l’espèce de la création à laquelle nous n’assistons pas, mais nous en voyons le résultat. En outre nous pouvons assister au gouvernement divin dans le monde. En effet, il y a un acte de création et un acte de gouvernement qui sont deux actes différents. Il y a gouvernement dans le monde parce que tout n’est pas déterminé. En effet si le monde était un système déterministe, tout événement serait contenu dans sa cause.
Or nous pouvons constater avec bonheur que tout ne répond pas à des lois dans le monde et qu’il existe du hasard, de l’aléatoire, du non-ordre, dans les événements qui adviennent. Cela porte à nous donner une capacité de gouvernement. Gouverner, c’est utiliser les lois et l’aléatoire pour imposer une détermination qui ne se trouvait pas dans le monde.
Nous les hommes, pouvons-nous emparer de cette propriété du monde et gouverner quelque chose. Il n’y a qu’à voir, par exemple, le jardinier qui récolte beaucoup parce qu’il ne laisse pas les graines tomber à terre. Il organise son travail, sème les graines et met un ordre dans la culture naturelle. L’homme ajoute aux données initiales du monde, un ordre local dans un petit domaine, un ordre qui n’y était pas. On peut penser aussi au bateau dirigé par le marin et non laissé à l’aléatoire des vents et des marées.
Gouverner, c’est avoir la volonté de mettre de l’ordre où il n’y n’en avait pas. C’est bien parce qu’il n’y avait pas d’ordre que nous pouvons en ajouter et gouverner. Un système politique qui n’aurait que des lois bien faites et irréformables ne permettrait aucun gouvernement. Pour cela il faut la volonté de gouverner. La volonté ne relève ni de la loi ni de l’aléatoire mais de la liberté. Quelqu’un, en utilisant les lois, peut vouloir un ordre qui n’existe pas mais cette volonté n’est pas déterminée par les lois, elle y est conditionnée dans son application.
Nous pouvons constater qu’il y a aussi de l’aléatoire au niveau de notre esprit et qu’il faudrait y gouverner. Tous les actes qui requièrent de l’intelligence et qui se servent de l’aléatoire et des lois du monde s’appellent gouverner. Si l’homme peut le faire, tous ceux qui sont munis d’intelligence et de volonté peuvent le faire d’où l’on peut déduire qu’il y a au moins trois types de gouvernements dans le monde :
– Le gouvernement des hommes, qu’ils apprennent avec leurs mains, car c’est elles qui prennent les graines et les sèment, qui passent à l’acte et agissent sur l’aléatoire du monde. Il y a de bons et de mauvais gouvernements. Un animal ne gouverne pas parce qu’il n’est pas capable de volonté. Il est lié à l’aléatoire et programmé par ses instincts, ses hormones, les odeurs ou un dressage.
– Le gouvernement des anges qui ont eux aussi une intelligence et une volonté. Comme nous savons qu’il y a des anges bons et des anges mauvais, nous sommes sûrs qu’il y a une guerre au niveau du gouvernement angélique.
– Le gouvernement de Dieu en qui on ne peut pas ne pas supposer intelligence et volonté. Nous voilà face à trois gouvernements possibles.
D’une certaine façon, les êtres intelligents et volontaires ne peuvent pas ne pas gouverner. C’est leur être propre de le faire. Il peut y avoir un conflit ou un accord, une harmonie ou la guerre, puisque les gouvernements peuvent s’accorder ou s’opposer entre eux.
Nous ne sommes pas uniquement des spectateurs mais des co-acteurs la plupart du temps dans un inconscient profond. Nous tombons en esclavage, mus par une volonté-intelligence autre que la nôtre, c’est d’ailleurs le propre de l’esclavage. Tant que l’homme n’est pas conscient de la présence des anges et des démons, il ne peut pratiquement qu’être esclave. Le gouvernement des bons anges est a priori en harmonie avec le gouvernement divin et le gouvernement des démons est a priori contraire au gouvernement divin.
Le gouvernement de l’homme entre en conjonction avec les autres gouvernements et tant que l’homme ignore le gouvernement des anges, c’est une oie blanche qui se laisse manipuler. De la même façon, tant qu’il ignore qu’il y a le gouvernement de Dieu, il ne peut pas y accorder son propre gouvernement.
Cependant le gouvernement est l’usage de l’intelligence et de la volonté, donc les personnes munies de gouvernement, les hommes, les anges, et Dieu, ont cette faculté qui est le résultat de la création telle que Dieu l’a voulue.
S’il y a de l’aléatoire et de la loi dans le monde, c’est Dieu qui le veut dans son acte de création et s’il a voulu cette création ainsi, c’est qu’il veut aussi et en même temps, d’un seul acte, le gouvernement des anges et le gouvernement des hommes.
La première lettre du Nom de Dieu nous mène à des considérations capitales qui nous conduisent immédiatement à une certaine compréhension de la prière que le Fils nous propose de faire :
Notre Père …. que ta volonté soit faite Il s’agit là du gouvernement divin, et de la compréhension profonde qu’il se pourrait qu’il y ait des conflits entre les gouvernements divin, angélique et humain. Nous demandons donc comme un bienfait que le gouvernement divin, qui est nécessairement le meilleur, puisse se réaliser. Nous demandons que le gouvernement de Dieu inspire notre gouvernement de telle façon que sa volonté de bonté puisse être réalisée en nous. Nous remettons une part de notre gouvernement à Dieu puisque nous sommes dans l’incapacité de bien gouverner certaines choses.
Que ta volonté soit faite (Mt 6, 10) signifie aussi : Donne-moi la force et l’intelligence pour que je puisse gouverner correctement. L’intelligence veut que nous adhérions à ce qui est vrai. C’est une insulte à Dieu de ne pas recevoir ses dons et de ne pas gouverner autant que nous le pouvons, selon l’intelligence, la justice, la bonté, la beauté. Ce que je veux est-il cohérent, harmonieux avec la volonté de Dieu qui veut que je gouverne et ainsi que je lui ressemble ?
Le Nom de Dieu comporte ensuite la lettre Hé,
qui est la cinquième lettre de l’alphabet hébraïque et qui vaut huit (dans la numération sacrée). Ce Hé est la deuxième et la quatrième des lettres du Nom de Dieu et elle apparaît une fois après le Yod et une fois après le Wav. Hé est la seule lettre de l’alphabet hébraïque qui n’a pas un sens énonçable. C’est un souffle délicat, C’est une image analogique de l’Esprit. Le Nom de Dieu nous dit qu’il y a un souffle en Dieu.
Le souffle est notre point d’appui analogique pour comprendre ce souffle en Dieu, la chose la plus subtile qui soit. Hé est un son primitif, une consonne qui est aussi une voyelle et qui va fournir l’image de ce qui est invisible mais audible. Cela signifie que ce vent, le Hé, est à la naissance du son dont on ne connaît ni l’origine ni la fin mais qui est la matière pour signifier la source du sens. Il faut un souffle impalpable qui lui-même fait vibrer la gorge. Hé : on appelle cette vibration une aspiration alors qu’elle est une expiration. Ce n’est pas un h aspiré, mais expiré, c’est un souffle forcément, il va vers l’extérieur. Le souffle se fait entendre et procure un son si on fait vibrer quelque chose dans la gorge.
C’est un modèle analogique du souffle divin, ce souffle en Dieu fait sonner quelque chose dans le monde. L’image du vent qui agite les branches est bien trouvée. En Dieu ce souffle s’exprime analogiquement en faisant sonner autre chose que lui. C’est la création ! La création tout entière va sonner par le souffle divin. Il faut se mettre à l’écoute et dire que tout ce qui se prononce, qui se chante, qui s’entend dans le monde est le fruit de cette présence qui fait sonner les choses.
(Jn 3, 8) » Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. «
Pour nous le souffle est indiscernable, il se rend discernable par une interaction avec autre chose.
Tout à coup il y a un bruit, et c’est la création d’un contraste ; il est possible de produire des contrastes dans la création puisque sa structure est celle du contraste. La structure de la réalité créée est une structure quaternaire[1], comme la structure du contraste. L’analogie est facile.
La création supporte et s’exprime dans le contraste. Que va-t-il manifester en Dieu puisqu’il s’agit d’une manifestation de Dieu dans son Nom ? Le Nom de Dieu est pour nous, le nom est fait pour autrui, Dieu n’a pas de nom en lui-même. Le Nom de Dieu est fait pour qu’on puisse l’appeler, l’invoquer, le nommer.
Qui invoque le Nom du Seigneur sera sauvé (Rm 10, 13).
Le Hé est fait pour produire une manifestation divine. Nous devons remarquer l’aspect contrastant que peut avoir la présence du vent qu’on ne voit pas, comme la présence divine dans le monde.
YH. Ces deux premières lettres du Nom montrent qu’il y a en Dieu une puissance de gouvernement et une puissance de manifestation qui se fait connaître. Nous avons besoin de le connaître pour nous gouverner et entrer en accord avec lui. Nous savons par ailleurs que l’Esprit Saint est donateur de tout bien. C’est sous cet aspect de donateur de tout bien que nous pouvons attendre que le Saint Esprit se manifeste dans un certain contraste dans le gouvernement du monde.
Wav, est la lettre suivante,
la sixième lettre de l’alphabet, qui vaut neuf selon le comptage sacré. La lettre Wav signifie le piquet, le piquet de tente que l’on plante en terre. Il est ce qui fixe provisoirement une tente amovible. On met et on enlève le piquet, cela montre la capacité à la stabilité dans le mouvement. Il y a un choix, donc il y a du gouvernement dans l’air. C’est une capacité spéciale dans le mouvement de pouvoir s’arrêter où on veut et d’être stable à cet endroit-là ; le Wav nous conduit vers cette idée analogique de maîtrise du mouvement.
On sait que le mouvement de l’homme doit être gouverné s’il n’est pas limité par des éléments extérieurs. Le Wav suppose la capacité de bouger mais pas au gré de l’aléatoire ; on peut arrêter le mouvement, ou le reproduire, ou le continuer et pour cela il faut la maîtrise de l’ago-antagonisme[2]. C’est une loi générale.
Il n’y aurait aucun gouvernement possible s’il n’y avait pas d’ago-antagonisme et il faut supposer un ago-antagonisme analogique en Dieu. Dans la Révélation, nous trouvons des concepts ou des notions ago-antagonistes que nous ne pouvons comprendre si nous ne les repérons pas comme tels. Un exemple est celui de la séparation de deux concepts unis quoique opposés, et qui vont toujours ensemble : les concepts d’intelligence et de sagesse. Cela fera sans doute un jour l’objet d’un article développé.
En gros, ils sont pour nous comme la droite et la gauche. Une droite seule ne peut pas « prendre » grand-chose, une gauche seule non plus, mais réunies, elles permettent de soulever des choses qui ne sont ni la droite ni la gauche. Que permet de saisir la sagesse unie à l’intelligence en un rapport antagoniste ? Il sera bon de le montrer mais pour comprendre la suite il faut entendre que les deux concepts réunis permettent d’accéder à la connaissance.
(Dt 4, 6) Gardez-les et mettez-les en pratique, (ces lois et ces coutumes) ainsi serez-vous sages et intelligents aux yeux des peuples. Quand ceux-ci auront connaissance de toutes ces lois, ils s’écrieront : » Il n’y a qu’un peuple sage et intelligent, c’est cette grande nation ! »
Jésus nous dit d’être sage comme la colombe, et avisé comme le serpent. (Mt 10, 16). Nous retrouvons cette dualité, une opposition que nous ressentons plus ou moins, pour entrer dans le royaume des cieux.
(Jn 17, 3) Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ.
Il faut faire cette saisie. Tout est ordonné à la connaissance du vrai Dieu. C’est donné au terme de l’acte qu’il a fallu poser dans un gouvernement libre, harmonieux avec le gouvernement divin qui nous est proposé dans la Révélation.
Wav montre cette puissance d’opposition de la sagesse et de l’intelligence dans un acte libre, dans le mouvement qui permet sa réalisation. C’est cela le mouvement et l’arrêt. C’est un acte, c’est la capacité d’agir. Sans ago-antagonisme, il n’y a pas de capacité d’agir.
De la même façon, au niveau de l’esprit il n’y pas de capacité de comprendre sans ago-antagonisme. Dieu se manifeste à ce niveau dans la sagesse et l’intelligence qui sont ses dons divins, et puisque le Wav fait partie de son nom, il existe en Dieu quelque chose d’analogue à ce mouvement qui permet la réalisation d’un acte libre. La doctrine de la Sainte Trinité contient cela. C’est plus sensible, plus intelligible dans l’hypostase du Fils, laquelle correspond au Wav, qu’on plante en terre et qui convient pour signifier l’Incarnation.
Ensuite vient un deuxième Hé.
La justification en est l’ordre du nom YHWH. Un Hé suit le yod et un hé suit le wav. Peut-être y a-t-il une émission du souffle spécifiée par le yod et une émission du souffle spécifiée par le wav. Cela rejoint ce qui va être développé plus tard dans la doctrine : le Nom de Dieu est donné dès l’origine, la double procession du Saint Esprit qui procède du Père et du Fils.
YHWH est le nom révélé à Moïse. Or Moïse est inspiré, il ne pouvait pas ne pas connaître la doctrine, non pas comme nous la connaissons aujourd’hui, mais la doctrine conservée, secrète, car trois fois sacrée. Si nous ne la comprenons pas nous tombons dans le trithéisme, ce qui est hélas arrivé.
Ce qui est aussi pris pour un blasphème suprême qui mérite la mort, c’est que Jésus a révélé la Sainte Trinité dans son enseignement. Ensuite il a fallu des siècles pour formuler le dogme mais il a été cru dès le début. De la même façon on croyait à l’Assomption depuis vingt siècles même si ce dogme n’avait pas été encore énoncé explicitement. La Sainte Trinité est nommée dans l’Evangile : (Mt 28, 19)Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit.
Jésus a pris le risque que le Nom de Dieu soit massivement blasphémé, or un homme ne peut pas prendre ce risque. Révéler une telle doctrine implique la divinité de celui qui la révèle. La doctrine était connue du temps de Jésus. C’était une science cachée et réservée aux maîtres d’Israël, qui, à force de la cacher, avaient fini par l’oublier. Cela arrive aussi aujourd’hui dans l’Eglise, par manque d’enseignement, et les fidèles finissent par ignorer complétement la doctrine de la Sainte Trinité.
Si on a le respect du Nom de Dieu, il faut faire comme Jésus et le révéler au peuple quitte à ce qu’il fasse contre-sens sur contre-sens parce que si on n’enseigne pas, le contre-sens est majeur jusqu’à faire un monothéisme intellectuel idolâtrique et une unité à la Platon. Or Dieu n’est pas UN de cette façon-là.
S’il n’y a pas de différence en Dieu, il n’y a pas de Sainte Trinité. C’est à force de ne pas enseigner qu’on fait blasphémer Dieu. La doctrine est difficile, mais il faut l’enseigner, l’enjeu est colossal et terrifiant.
YHWH, ce Nom est trois fois Saint
Toute la doctrine de la Sainte Trinité est contenue en germe dans la signification du Nom que Dieu a révélé à Moïse.
Certains grammairiens ont écrit des pages et des pages sur les variations du verbe être ; c’est une invention des grammairiens, ce n’est pas dans l’Ecriture sainte. On parle aussi de la tradition « yahviste » et de la tradition « élohiste », mais Il n’y a aucune concurrence entre le nom propre YHWH et le mot Elohim désignant la divinité.
Il faut regarder la signification d’Elohim : c’est le nom de dieu désignant la divinité, un dieu avec d minuscule. Le pluriel est Elim qui désigne des êtres spirituels. Eloha, est un nom féminin peu employé et on peut copier maître Eckhart qui a traduit : « la déité ».
A ce nom féminin, on donne un pluriel masculin, c’est une procédure régulière en hébreu : lorsqu’il y a un pluriel masculin d’un nom féminin, ou l’inverse, il s’agit d’une abstraction. Elohim est un nom abstrait qui voudrait dire formellement « les dieux » mais l’abstraction fait qu’on traduit : « la divinité ».
On en a pour preuve que le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob dont le nom propre est YHWH, est nommé Dieu des dieux, Seigneur des seigneurs par l’Ecriture même. Cela signifie bien qu’il y a de nombreux dieux, ce qu’on appellerait aujourd’hui des puissances archétypales[3]. Quand on adore un faux dieu, on n’est pas détrompé. Un faux chèque ressemble à un chèque et un faux dieu ressemble à un dieu. Les démons ressemblent à des anges, sinon ils ne tromperaient personne. Le Dieu des dieux, le Seigneur des seigneurs est la divinité ultime.
On voit Elohim en tant que créateur sans connaître son nom, pour le savoir il faut une Révélation spéciale. La divinité crée non pas sous son nom propre, mais c’est sous son nom propre qu’elle se révèle à l’homme. La création précède logiquement la Révélation. L’usage d’un nom propre intervient quand il y a l’induction d’une relation personnelle entre ce Dieu et son peuple.
(Lv 26, 12) : Je vivrai au milieu de vous, Je serai votre Dieu et vous serez mon peuple.
Le créateur est anonyme, la création est sa signature. Son nom se révèle dans son gouvernement, un acte spécial dans la Révélation. Le fait de se révéler fait partie du gouvernement divin agissant quand il veut et comme il peut parce qu’il veut des hommes libres, aussi attend-il que le gouvernement de l’homme coïncide avec son désir pour se révéler.
Jésus dit à ses disciples : (Mt 6, 9) : Vous donc, priez ainsi : Notre Père qui es dans les cieux, que ton nom soit sanctifié. Dieu n’est-il pas Saint ? Bien entendu, Dieu est saint mais il faut que son nom soit sanctifié parce qu’il pourrait être blasphémé. Le contraire du blasphème est la sanctification du Nom. Il faut que son Nom soit sanctifié par ceux qui le prononcent, dans leur cœur, dans leur intelligence.
Ecoutons le Sanctus, le chant des séraphins, révélé par le prophète Isaïe :
(Is 6, 3) Ils criaient l’un à l’autre ces paroles : Sanctus, sanctus, sanctus est YHWH, sa gloire emplit toute la terre. Sanctus, Sanctus, Sanctus, Deus sabaot
C’est la Révélation de Dieu à Isaïe dans le Temple. Le latin ne traduit pas Deus sabaot : le Dieu des armées. Dieu est le Dieu des armées célestes qui sont assimilées aux anges. Les armées sont la figure du désir, la figure de la conservation de l’acte de la vie. Dieu est Elohé sabaot.
« Saint, Saint, Saint » si nous poursuivons en disant « le Seigneur », cela trahit le nom sacré de YHWH, divinité du désir intime de la Vie. La vie est intimement désir.
(Ap 22, 17) : Et que l’homme assoiffé s’approche, que l’homme de désir reçoive l’eau de la vie gratuitement.
[1] Cf. Structure de la connaissance JF Froger et Robert Lutz, Ed. desiris. 2003
[2] L’ago-antagonisme exige deux forces mesurées contraires et égales, aussi les muscles se contractent et sont retenus tout à la fois. Chaque geste requiert ces deux forces pour arriver au résultat, comme de plier un bras ou de prendre un verre dans la main etc.
Donnée en visio conférence durant la session de Pentecôte d’EEChO les 19 et 20 mai 2024, Jean-François explique ici comment comprendre la phrase du Christ : « Mon royaume n’est pas de ce monde ».
Grâce à Jean le Baptiste qui annonce l’arrivée du Royaume des Cieux et à Isaïe qui l’a également prophétisé et enfin aux paroles de Jésus Lui-même, comment comprendre ce qu’est le Royaume des Cieux ?
Écoutez cette conférence et n’hésitez pas à nous écrire en retour !
Mon royaume ne vient pas de ce monde – Partie 1Mon royaume ne vient pas de ce monde – Partie 2
Le lecteur recevra ce Livre de la nature humaine comme la carte d’un trésor « nouveau et ancien » (Mt 13, 52) qu’on a mise dans une bouteille et jetée dans la mer agitée du monde contemporain, en espérant que, portée par les vents imprévisibles de la Providence, elle arrive à des mains amoureuses du travail et à des cœurs brûlants de désir de vérité. Cette carte ne provient pas, cependant, des restes d’un naufrage, comme beaucoup de réflexions anthropologiques actuelles qui configurent notre mentalité profonde, culturelle, politique et sociale, et nous invitent à nous conformer au désespoir, parce que, de toutes façons, nous ne serions que des animaux évolués, mammifères qui ont réussi, mais tout à fait à la dérive dans une existence que personne n’a appelée, aimée et instituée. Non pas, donc, de l’île des naufragés, mais d’un îlot de joie qui a pour nom « théologie ».
C’est en théologien courageux que l’auteur de ces pages denses et diamantines nous offre le fruit de sa solitude contemplative et de son étude patiente de la Parole de Dieu. Parce qu’il faut du courage pour donner aujourd’hui un vrai cadeau théologique qui nourrisse dans la joie sans se laisser porter par les normes du convenable ni avoir à payer le prix des corrections assumées. Quelles sont les joies que ce livre veut réveiller dans notre mentalité chrétienne ?
Tout d’abord, la joie de goûter du texte de l’épître aux Hébreux dans une traduction directe de l’araméen, en nous faisant sentir son rythme oral construit par des balancements du souffle et des structurations par mots-clés, aptes à la mémorisation par cœur et la rumination constante de l’enseignement. L’ effort de répéter maintes fois la lecture du texte comme une récitation à haute voix, en se laissant imprégner des images révélées avant même d’en approfondir son étude, ne restera pas sans fruit.
On trouvera ensuite la joie de voir se construire dans le champ de notre propre personne l’édifice merveilleux de la nature humaine, tel qu’il a été conçu par Dieu et révélé dans l’Écriture Sainte pour que nous nous concevions nous-même dans la liberté de comprendre et l’assentiment de la foi. Le livre ne veut aucunement imposer une vision, même renouvelée, de la nature humaine, mais offrir des instruments inouïs, sortis de la logique même de l’Écriture, pour que ce soit la Parole révélée elle-même qui nous apprenne à penser et façonne en nous l’intelligence du mystère filial de notre appel, toujours surprenant, à être des hommes dans l’Humanité accomplie du Fils, termes d’une relation de Parole qui fonde et garantit divinement une authentique socialité humaine. L’ auteur a su dégager de l’épître aux Hébreux les catégories de notre vocation humaine, et nous invite à un voyage passionnant de transformation intérieure par un effort de pensée et de reconstruction de notre nature, tombée dans la Chute mais réinstaurée dans la Parole incarnée.
Si l’on ne fuit pas trop vite les appuis techniques dans les logiques quaternaire et ternaire, découvertes par l’auteur comme cohérence profonde du langage révélé, on aura la surprise de contempler la nature humaine structurée par les catégories du Temple, qui la différencient en féminité, masculinité, sacerdoce et grand-sacerdoce, quatre catégories concomitantes, nécessaires l’une à l’autre, et qui aident à sortir de la contraposition infructueuse de l’homme et de la femme dans une lutte idéologique pour le pouvoir. Une nouvelle logique est nécessaire pour accueillir la nouveauté de l’Évangile prêché par saint Paul, auteur de l’épître selon la meilleure tradition de l’Orient et de l’Occident ; ce livre offre les outres nouvelles pour le vin nouveau, seulement, il faut s’exercer à ses catégories pour en savourer la douceur et la cohérence.
La clé du message de l’épître aux Hébreux est la révélation de Jésus Ressuscité comme Grand-Prêtre. Peu de théologiens ont exploré le rôle grand-sacerdotal de Jésus. Dans le langage ecclésiastique habituel, on parle du sacerdoce de Jésus comme modèle du sacerdoce des ministres ordonnés, en identifiant les catégories du Prêtre et du Grand-Prêtre. Ce langage appauvrit la compréhension des grands trésors anthropologiques et spirituels cachés dans la révélation de Jésus comme le Grand-Prêtre dont nous avions besoin. On n’avait pas même soupçonné l’importance du grand-sacerdoce de Jésus comme achèvement de la nature humaine. C’est que, en ne discernant pas la différence entre le Prêtre et le Grand-Prêtre, on ne discerne non plus la profondeur théologique de la différence entre l’homme et la femme, parce qu’il y a autant de différence entre le sacerdoce et le grand-sacerdoce qu’entre la masculinité et la féminité. Dans la totalité du corps-Temple qui constitue la nature humaine, achevée dans la catégorie unique du Grand-Prêtre, une nouvelle lumière jaillit pour comprendre l’homme et la femme comme fonctions liturgiques et vocations représentatives de différents aspects de la nature humaine et même comme des reflets de la structure trinitaire de Dieu, puisque l’homme intégral est créé « à son ombre-image et selon sa consanguinité-ressemblance ».
La redécouverte du rôle du Grand-Prêtre dans la structure de la nature humaine achevée, comme clé de compréhension des autres catégories anthropologiques, pourrait, nous l’espérons, faire sortir à bonne heure le langage religieux de la fascination des deux abîmes chimériques entre lesquels se débat aujourd’hui la réflexion théologique. Réflexion tentée de perplexité et risquant la paralysie de la langue de bois ou la perte du sel évangélique : d’un côté, l’abîme de la dissolution de la différence entre l’homme et la femme, qui nous entraîne dans un égalitarisme lissant la richesse concrète de l’asymétrie entre les sexes et son sens révélé ; c’est l’athéisme théorique et pratique qui se cache dans cette chimère, comme a bien vu Chr. Singer, qui disait : « Lorsque une société veut couper l’homme de sa transcendance, elle n’a pas besoin de s’attaquer aux grands édifices des églises et des religions, il lui suffit de dégrader la relation entre l’homme et la femme »1 ; de l’autre côté, l’abîme d’un recours trop rapide à la mystique, qui pourrait enfoncer dans le brouillard de l’indéfini ou la projection des désirs non informés par le langage, certainement difficile et toujours analogique, de la révélation, en nous faisant croire que le vrai message de l’Écriture se trouve au-delà de tout langage et même de toute compréhension.
Ce livre invoque la voie, non pas d’un au-delà de la logique, mais d’une logique construite autrement, quaternaire pour la description des différenciations qui ont lieu dans la création, et ternaire pour la compréhension des transformations spirituelles décrites dans les récits évangéliques, une logique capable d’embrasser de façon cohérente et de tenir ensemble les diverses catégories de la nature humaine garanties dans sa rationalité et sa dicibilité par la Parole même de Dieu. Comment sortir de ces deux abîmes ? Le livre ne connaît qu’un chemin : c’est la joie de comprendre.
Une lumière toute nouvelle jaillit aussi de ces catégories pour la compréhension de la fonction rituelle du sacerdoce et du sacrifice que le prêtre est appelé à réaliser. La troisième partie de l’œuvre ose proposer avec une audace logique les raisons profondes de la décision de l’Église de ne pas conférer le sacerdoce ordonné aux femmes. Ce que le Magistère, interprète fidèle de la Révélation, indique sans comprendre, le théologien doit l’expliquer, parce que les choses ne sont pas vraies parce que c’est l’Église qui les dit (cela serait purement et simplement un aspect subtil du fidéisme), mais, à l’inverse, l’Église dit les choses qu’elle dit parce qu’elles sont vraies, et donc doivent être comprises et étudiées avec tous les moyens de la raison, pour déceler sa vérité libératrice. Le paysage sur le mystère de la femme qui se dessine dans cette troisième partie de l’œuvre est vraiment lucide et d’une hauteur surprenante, et les réflexions qui lui sont dédiées pourront compter, je crois ne pas exagérer, entre les pages les plus belles et profondes que la théologie ait jamais écrites sur l’Église-Épouse comme accomplissement eschatologique de la nature humaine.
Ce courage et cette joie coûteuse qui mènent à dévoiler les raisons, logiques et analogiques, et même anagogiques, de la Révélation, en respectant la pédagogie du Verbe de Dieu et l’expérience la plus profonde de la vie de sainteté de l’Église, seront la source d’une métaphysique renouvelée, centrée sur la relation comme paradigme fondamental. L’horizon qui se dévoile de cette lecture de l’épître aux Hébreux comme livre de la nature humaine est difficile et exigeant, bien sûr, mais c’est la façon de penser et de comprendre demandée par cet effort que l’Église de notre temps appelle, peut-être sans savoir encore en exprimer les raisons profondes, comme une « nouvelle évangélisation ».
Je me suis limité à signaler quelques joies de ce livre comme orientation pour la lecture. Des trésors de compréhension attendent à chaque page pour l’enrichissement du lecteur bienveillant. Une préface n’est qu’une carte de la carte. Reste à faire courageusement le chemin en se plongeant dans la mer. La perle n’est pas en surface, on ne la trouve qu’en s’immergeant dans les eaux fraîches de la Parole de Dieu, muni de logique et de confiance en la rationalité de tout ce que Dieu nous a communiqué. L’ effort vaut la peine, il n’est que pour la joie.
Chr. Singer, Du bon usage des crises, Albin Michel, 57, cité par F. de Muizon, Homme et femme, l’altérité fondatrice, Le Cerf, Paris, 2008, 9.
Père Francisco José López Sáez Professeur de théologie spirituelle à l’Université pontificale de Comillas des jésuites de Madrid, de spiritualité et liturgie des Églises d’Orient à l’Université Ecclésiastique San Dámaso