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Mon royaume ne vient pas de ce monde

Conférence EEChO Pentecôte 2024

Donnée en visio conférence durant la session de Pentecôte d’EEChO les 19 et 20 mai 2024, Jean-François explique ici comment comprendre la phrase du Christ : « Mon royaume n’est pas de ce monde ».

Grâce à Jean le Baptiste qui annonce l’arrivée du Royaume des Cieux et à Isaïe qui l’a également prophétisé et enfin aux paroles de Jésus Lui-même, comment comprendre ce qu’est le Royaume des Cieux ?

Écoutez cette conférence et n’hésitez pas à nous écrire en retour !

Mon royaume ne vient pas de ce monde – Partie 1
Mon royaume ne vient pas de ce monde – Partie 2

Préface : Le livre de la nature humaine

Le lecteur recevra ce Livre de la nature humaine comme la carte d’un trésor « nouveau et ancien » (Mt 13, 52) qu’on a mise dans une bouteille et jetée dans la mer agitée du monde contemporain, en espérant que, portée par les vents imprévisibles de la Providence, elle arrive à des mains amoureuses du travail et à des cœurs brûlants de désir de vérité. Cette carte ne provient pas, cependant, des restes d’un naufrage, comme beaucoup de réflexions anthropologiques actuelles qui configurent notre mentalité profonde, culturelle, politique et sociale, et nous invitent à nous conformer au désespoir, parce que, de toutes façons, nous ne serions que des animaux évolués, mammifères qui ont réussi, mais tout à fait à la dérive dans une existence que personne n’a appelée, aimée et instituée. Non pas, donc, de l’île des naufragés, mais d’un îlot de joie qui a pour nom « théologie ».

C’est en théologien courageux que l’auteur de ces pages denses et diamantines nous offre le fruit de sa solitude contemplative et de son étude patiente de la Parole de Dieu. Parce qu’il faut du courage pour donner aujourd’hui un vrai cadeau théologique qui nourrisse dans la joie sans se laisser porter par les normes du convenable ni avoir à payer le prix des corrections assumées. Quelles sont les joies que ce livre veut réveiller dans notre mentalité chrétienne ?

Tout d’abord, la joie de goûter du texte de l’épître aux Hébreux dans une traduction directe de l’araméen, en nous faisant sentir son rythme oral construit par des balancements du souffle et des structurations par mots-clés, aptes à la mémorisation par cœur et la rumination constante de l’enseignement. L’ effort de répéter maintes fois la lecture du texte comme une récitation à haute voix, en se laissant imprégner des images révélées avant même d’en approfondir son étude, ne restera pas sans fruit.

On trouvera ensuite la joie de voir se construire dans le champ de notre propre personne l’édifice merveilleux de la nature humaine, tel qu’il a été conçu par Dieu et révélé dans l’Écriture Sainte pour que nous nous concevions nous-même dans la liberté de comprendre et l’assentiment de la foi. Le livre ne veut aucunement imposer une vision, même renouvelée, de la nature humaine, mais offrir des instruments inouïs, sortis de la logique même de l’Écriture, pour que ce soit la Parole révélée elle-même qui nous apprenne à penser et façonne en nous l’intelligence du mystère filial de notre appel, toujours surprenant, à être des hommes dans l’Humanité accomplie du Fils, termes d’une relation de Parole qui fonde et garantit divinement une authentique socialité humaine. L’ auteur a su dégager de l’épître aux Hébreux les catégories de notre vocation humaine, et nous invite à un voyage passionnant de transformation intérieure par un effort de pensée et de reconstruction de notre nature, tombée dans la Chute mais réinstaurée dans la Parole incarnée.

Si l’on ne fuit pas trop vite les appuis techniques dans les logiques quaternaire et ternaire, découvertes par l’auteur comme cohérence profonde du langage révélé, on aura la surprise de contempler la nature humaine structurée par les catégories du Temple, qui la différencient en féminité, masculinité, sacerdoce et grand-sacerdoce, quatre catégories concomitantes, nécessaires l’une à l’autre, et qui aident à sortir de la contraposition infructueuse de l’homme et de la femme dans une lutte idéologique pour le pouvoir. Une nouvelle logique est nécessaire pour accueillir la nouveauté de l’Évangile prêché par saint Paul, auteur de l’épître selon la meilleure tradition de l’Orient et de l’Occident ; ce livre offre les outres nouvelles pour le vin nouveau, seulement, il faut s’exercer à ses catégories pour en savourer la douceur et la cohérence.

La clé du message de l’épître aux Hébreux est la révélation de Jésus Ressuscité comme Grand-Prêtre. Peu de théologiens ont exploré le rôle grand-sacerdotal de Jésus. Dans le langage ecclésiastique habituel, on parle du sacerdoce de Jésus comme modèle du sacerdoce des ministres ordonnés, en identifiant les catégories du Prêtre et du Grand-Prêtre. Ce langage appauvrit la compréhension des grands trésors anthropologiques et spirituels cachés dans la révélation de Jésus comme le Grand-Prêtre dont nous avions besoin. On n’avait pas même soupçonné l’importance du grand-sacerdoce de Jésus comme achèvement de la nature humaine. C’est que, en ne discernant pas la différence entre le Prêtre et le Grand-Prêtre, on ne discerne non plus la profondeur théologique de la différence entre l’homme et la femme, parce qu’il y a autant de différence entre le sacerdoce et le grand-sacerdoce qu’entre la masculinité et la féminité. Dans la totalité du corps-Temple qui constitue la nature humaine, achevée dans la catégorie unique du Grand-Prêtre, une nouvelle lumière jaillit pour comprendre l’homme et la femme comme fonctions liturgiques et vocations représentatives de différents aspects de la nature humaine et même comme des reflets de la structure trinitaire de Dieu, puisque l’homme intégral est créé « à son ombre-image et selon sa consanguinité-ressemblance ».

La redécouverte du rôle du Grand-Prêtre dans la structure de la nature humaine achevée, comme clé de compréhension des autres catégories anthropologiques, pourrait, nous l’espérons, faire sortir à bonne heure le langage religieux de la fascination des deux abîmes chimériques entre lesquels se débat aujourd’hui la réflexion théologique. Réflexion tentée de perplexité et risquant la paralysie de la langue de bois ou la perte du sel évangélique : d’un côté, l’abîme de la dissolution de la différence entre l’homme et la femme, qui nous entraîne dans un égalitarisme lissant la richesse concrète de l’asymétrie entre les sexes et son sens révélé ; c’est l’athéisme théorique et pratique qui se cache dans cette chimère, comme a bien vu Chr. Singer, qui disait : « Lorsque une société veut couper l’homme de sa transcendance, elle n’a pas besoin de s’attaquer aux grands édifices des églises et des religions, il lui suffit de dégrader la relation entre l’homme et la femme »1 ; de l’autre côté, l’abîme d’un recours trop rapide à la mystique, qui pourrait enfoncer dans le brouillard de l’indéfini ou la projection des désirs non informés par le langage, certainement difficile et toujours analogique, de la révélation, en nous faisant croire que le vrai message de l’Écriture se trouve au-delà de tout langage et même de toute compréhension.

Ce livre invoque la voie, non pas d’un au-delà de la logique, mais d’une logique construite autrement, quaternaire pour la description des différenciations qui ont lieu dans la création, et ternaire pour la compréhension des transformations spirituelles décrites dans les récits évangéliques, une logique capable d’embrasser de façon cohérente et de tenir ensemble les diverses catégories de la nature humaine garanties dans sa rationalité et sa dicibilité par la Parole même de Dieu. Comment sortir de ces deux abîmes ? Le livre ne connaît qu’un chemin : c’est la joie de comprendre.

Une lumière toute nouvelle jaillit aussi de ces catégories pour la compréhension de la fonction rituelle du sacerdoce et du sacrifice que le prêtre est appelé à réaliser. La troisième partie de l’œuvre ose proposer avec une audace logique les raisons profondes de la décision de l’Église de ne pas conférer le sacerdoce ordonné aux femmes. Ce que le Magistère, interprète fidèle de la Révélation, indique sans comprendre, le théologien doit l’expliquer, parce que les choses ne sont pas vraies parce que c’est l’Église qui les dit (cela serait purement et simplement un aspect subtil du fidéisme), mais, à l’inverse, l’Église dit les choses qu’elle dit parce qu’elles sont vraies, et donc doivent être comprises et étudiées avec tous les moyens de la raison, pour déceler sa vérité libératrice. Le paysage sur le mystère de la femme qui se dessine dans cette troisième partie de l’œuvre est vraiment lucide et d’une hauteur surprenante, et les réflexions qui lui sont dédiées pourront compter, je crois ne pas exagérer, entre les pages les plus belles et profondes que la théologie ait jamais écrites sur l’Église-Épouse comme accomplissement eschatologique
de la nature humaine.

Ce courage et cette joie coûteuse qui mènent à dévoiler les raisons, logiques et analogiques, et même anagogiques, de la Révélation, en respectant la pédagogie du Verbe de Dieu et l’expérience la plus profonde de la vie de sainteté de l’Église, seront la source d’une métaphysique renouvelée, centrée sur la relation comme paradigme fondamental. L’horizon qui se dévoile de cette lecture de l’épître aux Hébreux comme livre de la nature humaine est difficile et exigeant, bien sûr, mais c’est la façon de penser et de comprendre demandée par cet effort que l’Église de notre temps appelle, peut-être sans savoir encore en exprimer les raisons profondes, comme une « nouvelle évangélisation ».

Je me suis limité à signaler quelques joies de ce livre comme orientation pour la lecture. Des trésors de compréhension attendent à chaque page pour l’enrichissement du lecteur bienveillant. Une préface n’est qu’une carte de la carte. Reste à faire courageusement le chemin en se plongeant dans la mer. La perle n’est pas en surface, on ne la trouve qu’en s’immergeant dans les eaux fraîches de la Parole de Dieu, muni de logique et de confiance en la rationalité de tout ce que Dieu nous a communiqué. L’ effort vaut la peine, il n’est que pour la joie.

  1. Chr. Singer, Du bon usage des crises, Albin Michel, 57, cité par F. de Muizon, Homme
    et femme, l’altérité fondatrice
    , Le Cerf, Paris, 2008, 9.


Père Francisco José López Sáez
Professeur de théologie spirituelle à l’Université pontificale de
Comillas des jésuites de Madrid, de spiritualité et liturgie des
Églises d’Orient à l’Université Ecclésiastique San Dámaso

Préface : Le livre de la Création

Ce livre s’adresse à tout homme assoiffé de sens et qui cherche à connaître la nature humaine. Le lecteur bienveillant sera enrichi d’une nouvelle connaissance, pleine de surprises et d’étonnements.

On notera d’abord, en parcourant patiemment avec l’auteur les versets du récit fondateur de la Genèse, trop commenté mais très peu connu, des nouveautés dans la méthode d’approche. Habituellement, la tradition théologique, et même philosophique, a reçu la Révélation divine comme une source inspirée, mais elle a tenté de comprendre la Parole divine à l’intérieur des paramètres de la métaphysique classique, entièrement fondée sur la logique binaire aristotélicienne. Les grands théologiens-philosophes, en tête Maïmonide et saint Thomas d’Aquin, ont échappé au réductionnisme rationaliste ou à la double vérité grâce à leur foi, mais ils n’ont pas vu que la Révélation même, dans ses images multiples et parfois bizarres, contient
de façon impliquée une logique propre, extrêmement précise, et apte non seulement à dégager la cohérence inouïe de la Parole de Dieu, mais surtout à fournir l’instrument avec lequel la foi doit discerner dans son effort intellectuel l’interprétation que la Parole divine donne de l’homme.

La tradition inspirée interprète l’homme, et l’interpelle comme être libre et appelé à participer de la vie intime de Dieu. Cela veut dire que la Révélation apporte à l’homme les connaissances nécessaires pour qu’il assume son identité dans un assentiment rationnel et fonde ainsi son chemin de liberté. Ces connaissances ne peuvent provenir ni de l’expérience sensible, source de la philosophie par abstraction, ni de l’imagination, toujours mythologique. Il y a vraiment de l’inconnaissable, et une révélation veut nous communiquer précisément ce que nous ne pouvons pas connaître. Mais elle le fait avec les instruments de la rationalité humaine, qui sont l’analogie et la logique, qui prennent dans la révélation divine une allure propre très spéciale, apte à faire comprendre la parole révélée comme un chemin de transformation spirituelle de l’homme dans son effort d’écoute et de compréhension : la rationalité de la révélation est décrite dans cet ouvrage en déployant l’analogie de la fonction symbolique et en exposant la logique quaternaire, vraie découverte de l’auteur. Loin d’être déroutant, l’effort de fondation d’une logique quaternaire, déployé verset après verset dans ce commentaire, offre un instrument précieux pour un regard unifié dans beaucoup de domaines, parce qu’il s’agit de la logique propre de la révélation et de la création même. Cette découverte constitue, par ailleurs, le grand apport de l’étude, et elle vient à son heure.

Nous vivons, en effet, les temps d’une profonde crise de la raison humaine et de l’intelligence de la foi. Peut-être les deux crises se sont unies pour la première fois dans l’histoire. D’une part, on parle de la mort de Dieu et de la mort de l’homme, réduit à la pure biologie d’un animal qui a eu de la chance. Heidegger a proclamé que l’homme est un « être pour la mort » ; la culture du dernier siècle de façon scandaleuse et celle du nôtre avec l’endormissement non moins sanglant induit par les moyens techniques, se sont chargées d’apporter l’évidence de la mort comme dernier horizon de l’humain. Mais Heidegger est un naufragé de la même métaphysique qu’il critiquait, et tous les deux se noient sous nos yeux dans les eaux confuses de l’être et du néant. Les tenants de notre culture sont fils de naufragés et l’humanité de l’homme s’effondre avec eux.

D’autre part, l’intelligence même de la foi est exposée aux risques des évidences culturelles non purifiées, dont l’auteur signale un usage inconscient presque indépassable dans notre théologie et notre exégèse, se manifestant par la conviction que, de toute façon, la révélation (si au moins elle est admise) est recouverte par le langage mythologique d’un peuple particulier, bien situé dans sa spécificité ethnique hébraïque. L’effort de compréhension
de la révélation consisterait donc en la découverte-construction d’un noyau intellectuel abstrait qu’il s’agirait de dégager et de traduire à l’universel. Ce noyau abstrait serait la sagesse de la révélation, en rien différente de la sagesse des autres mythologies de l’humanité. Si révélation il y a, elle serait un nouveau fruit du langage, toujours maternel à l’occasion, mais non pas l’évidence de la Parole paternelle qui appelle l’homme à la pensée.

Ce livre tranche fort dans les habitudes exégétiques. Penser c’est décider, c’est suivre la parole paternelle au risque de l’interprétation et de la transformation radicale de la profondeur humaine, jusqu’à trouver la pensée de Dieu qui nous pense : cogitor, ergo sum. La révélation hébraïque n’est pas ethnologique, mais anthropologique, on ne la comprend pas si on l’enferme dans l’imagination mythique ou dans les catégories habituelles de la pensée ; seul comprend celui qui fait l’effort d’apprendre la nature humaine en recevant et dégageant la logique propre de la Parole de Dieu, une logique inspirée. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’on est intelligent qu’on peut lire et interpréter l’Écriture Sainte, mais c’est en lisant attentivement et avec piété (la logique est la piété de la pensée) l’Écriture Sainte qu’on devient vraiment intelligent.

L’Écriture apprend à penser. Le signe indubitable de l’inspiration de la Parole est précisément son opposition à la tendance naturelle de notre imagination. C’est dire que la lecture de ce livre va requérir du lecteur un grand effort de purification et un exercice nouveau de sa rationalité, parce que l’inspiration ne s’oppose pas à la pensée, au contraire, elle constitue sa source et sa richesse.

La difficulté de ce livre coïncide donc avec sa plus haute valeur : c’est la proposition d’un nouveau paradigme. Nous nous trouvons dans la possibilité historique, à l’intérieur de cette époque qui vit peut-être la première crise vraiment chrétienne de l’histoire, de fonder une nouvelle métaphysique à partir de la logique propre à la révélation. Pour la découvrir, il faut avoir entrevu, plein de reconnaissance et d’admiration, la cohérence entre chaque expression de l’Écriture et chaque geste et parole du Seigneur Jésus. Ce livre pose seulement un commencement, c’est justement le bereshit, le principe, mais c’est le plus important. La compréhension juste de la Genèse-principe est la condition pour pouvoir découvrir la cohérence du reste des étapes de la révélation, jusqu’à l’Apocalypse de saint Jean. Cette cohérence de toutes les paroles de la Bible avec la Parole en personne, le Verbe de Dieu, rayonne avec une telle profondeur et beauté qu’elle transforme intérieurement et radicalement la conception de la nature humaine. Comme dit admirablement saint Grégoire de Nazianze : « Mon fils, si tu désires les paroles, tu désires ce qu’il y a de meilleur. Moi aussi je suis réjoui par les paroles que le Christ-roi a données aux mortels comme la lumière de vie, comme le don le plus précieux sous la voûte du ciel. Celui qui possède plusieurs titres se réjouit lui-même et le plus quand on le nomme la Parole… Les paroles sont fondement de vie, ce sont elles qui m’ont distingué des animaux sauvages, c’est avec elles que j’ai bâti des villes et inventé des lois, c’est avec elles que je célèbre la puissance de Dieu… »1

Beaucoup de théologiens de la génération qui nous précède ont entrevu le nouveau fondement que ce livre nous offre, mais ils n’ont pas, peut-être, été capables de vraiment l’articuler : c’est que la racine ultime de l’être est la relation, l’être est relation, et sa source est la relation divine du Dieu Trinitaire. Ce nouveau principe, que ce livre met au jour avec clarté et précision, est lumière dans les ténèbres du présent, déploiement de cette première parole divine appelant à la lumière et couronnant son oeuvre avec un : tout est très bon, tout est vraiment beau, l’homme est un être pour la vie !

Profondément enraciné dans la tradition des grands commentaires juifs et chrétiens de l’ Hexaémeron, l’œuvre des six jours (Philon, Rachi, Origène, Basile le Grand, Augustin, Bonaventure…), ce livre ne se présente pas, cependant, comme un commentaire des commentaires, ni même comme un nouveau chaînon dans la série habituelle des travaux universitaires. La loi de fer de la correction politique, inconsciemment assumée et apparemment indépassable, qui contrôle actuellement l’enseignement et le travail intellectuel, veut que la recherche ne soit rien d’autre qu’une accumulation d’opinions et de points de vue, sans que le chercheur et l’étudiant aient à prendre parti et à décider de la vérité. Matrix veut bien garder ses frontières, et proclame sévèrement ses consignes et ses interdictions : cherchez dans toutes les directions possibles, agrandissez vos appareils de citations, mais, surtout et à tout prix, protégez-vous de ceux qui disent avoir trouvé ! Il est surtout interdit de trouver ! On comprend bien que ce nouveau mensonge de notre vieille collection d’évidences culturelles non critiquées provient de la peur de la vérité. Mais cette peur et le système qu’elle engendre se révèlent dangereusement stérilisants pour la théologie, parce qu’ils court-circuitent précisément la question fondatrice de l’homme tout court : au-delà de l’usage économique et des lois de la statistique, quel est le sens de l’humanité de l’homme ? L’Église et la théologie ont à réaliser un profond discernement au service de la foi et de l’humanité de l’homme, sous peine de rester congelées dans la glaciation spirituelle générale du temps présent. Jean-François Froger fait couler avec son livre un ruisseau de lave ardente pour faire s’effondrer le glacial, parce qu’il est un de ceux qui ont trouvé, ou qui se sont laissés trouver. Il nous communique, dans ses phrases de diamant taillant, sa joie d’avoir trouvé, conscient que le prix à payer pour la rencontre avec la Vérité, c’est souvent la solitude et la souffrance… mais aussi la fécondité.

Le travail théologique trouvera dans ce livre un vrai grenier de semences pour une nouvelle évangélisation. Il faudra seulement faire l’effort d’une étude patiente et espérer, comme dans les paraboles de Jésus, la croissance de tout ce qui y est impliqué. Ce livre est le fruit d’une grande espérance. Comme a dit saint Jean de la Croix, l’obscurité de la nuit nous semble épouvantable et définitive justement dans les moments qui précèdent la naissance du jour. La crise de l’homme oubliant la grandeur divine de sa propre nature est une vraie nuit de l’esprit. Mais celui qui sera capable d’écouter de façon juste pourra percevoir dans les nuages du présent l’aube du Jour venant !

  1. Grégoire de Nazianze, Nicoboulos à son fils, Carmen II, II, 5, v. 1-6, 165-193, PG 37,
    1521 et 1533 sv.


Père Francisco José López Sáez
Professeur de théologie spirituelle à l’Université pontificale de
Comillas des jésuites de Madrid, de spiritualité et liturgie des
Églises d’Orient à l’Université Ecclésiastique San Dámaso,
et de théologie dogmatique et oecuménisme au Séminaire de
Ciudad Real

Énigme de la pensée : Recension par Marion Duvauchel

L’œuvre de Jean-François Froger est originale et difficile. Si on en doutait, il nous en donne encore une preuve dans ce petit opuscule de moins de deux cent pages, au titre insolite : Enigme de la pensée. Enigme – et non pas mystère -, parce que l’énigme appelle l’enquête rationnelle, la puissance de la raison, et toutes les qualités du détective.

C’est une « somme ». On est donc invité gentiment mais fermement à lire l’ouvrage au moins trois fois. Autant dire qu’on est prévenu : c’est du dense !

La pensée « n’a pas d’âge » : tous les hommes qui ont pensé se sont aussi penchés sur les conditions de leur pensée, se sont interrogés sur la manière dont ils pensent et sur les limites de leur capacité à penser. Autrement dit, Enigme de la pensée s’inscrit dans une longue tradition dont Pascal est l’un des plus beaux fleurons, une tradition d’interrogation sur ce qui fait l’homme, le constitue ; et ce qui le constitue, c’est qu’« il pense ». Il ne peut éviter de se demander comment il pense, et même parfois « pourquoi » il pense. Mais rarement il s’interroge sur ce qui le fait penser.

C’est à cette énigme que l’auteur va s’attacher, en exploitant deux éclairages : celui de la pensée rationnelle qu’on appelle philosophie et celui de la pensée mythique.

En quinze « poursuites », on trouve dans cet ouvrage une nouvelle interprétation des mythes de la Grèce antique qui ont hanté notre épistémè occidentale (Œdipe), une nouvelle herméneutique de notre tradition biblique, une théorie de la parole et du langage, une théorie de la connaissance, une théorie économique (du travail et de la monnaie), les bases d’une anthropologie nouvelle et un éclairage sur les erreurs héritées de notre tradition cartésienne. Vous voyez, c’est beaucoup…

Tout philosophe sait que la pensée suppose un objet de pensée. Et il sait aussi que la pensée peut être son propre objet de pensée. Mais elle ne peut l’être jusqu’au bout – sauf à entrer dans un solipsisme mortel – parce qu’elle a un objet premier, qui la fonde, qui ne peut pas être atteint, mais qui est en quelque sorte le moteur de la pensée. Cette unité du « cogito-cogitor », du je pense et du je suis pensé ne peut plus être pensé consciemment, à cause de ce statut particulier qui est celui de la chute. Nous sommes comme Œdipe aveugle, et pour penser, il nous faut le secours de la raison. Le chemin de la pensée est donc un chemin de tâtonnement et parfois d’errance. Et sur ce chemin, nous faisons des rencontres, à commencer par le corps de l’homme.

C’est le cœur de cet ouvrage : le statut du corps humain, ce corps-temple postulé par la pensée chrétienne et bouddhique. Le corps, lieu de révélation comme en atteste toute notre tradition biblique…

La pensée réflexive choisit de s’approprier ou de rejeter ces objets que nous recevons et qui constituent un « donné », un déjà-là. Mais bien des erreurs proviennent de la première appréhension de ce « comment nous pensons ».

Pour entrer dans une autre « saisie » du monde que celle à laquelle nous sommes habitués, – et qui constitue un enfermement – il faut sortir de ce monde d’idées reçues qui est le nôtre, des héritages de pensée, des fausses sagesses. Comment sortir de ce que Jean-François Froger appelle « la langue maternelle, à peine distincte des obscurités du pathos », autrement dit dans le langage moderne, l’ordre du discours, sous lequel nous sommes le plus souvent ensevelis et dans lequel le statut du corps est un statut animal ?

Le programme est ambitieux et l’enjeu d’apprendre à penser immense : il s’agit d’entrer dans « une langue maternelle humaine et dans la langue paternelle révélée ». Il s’agit de se réapproprier correctement la question du corps et de la pensée (devenues inintelligible depuis le dualisme cartésien). Cela suppose un passage, celui du corps fantasmé au corps réel, c’està-dire au corps comme lieu de révélation. Ce qu’exprime toute la tradition biblique. Sortir de la langue maternelle non humaine constitue le premier effort, la première libération.

Toute l’humanité a construit des temples, qui sont, nous dit l’auteur, « les métaphores architecturales du corps humain », et qui fournissent une « réinstruction collective par des images et des rituels de ce qu’est le corps humain ». Pourquoi ? Parce que nous avons oublié. Nous avons oublié d’abord que nous sommes pensés, et nous avons oublié ce qu’est notre corps. « L’oubli de mon propre corps est le corollaire de l’oubli du fait que je suis pensé » (p. 49).

Ce n’est pas la moindre de ses vertus, Enigme de la pensée nous fait entrer dans le mystère de ce corps « temple de l’Esprit saint », et nous y pénétrons avec la lumière et les outils de la raison, et non plus dans les balbutiements de la théologie ou du catéchisme pastoral.

Ce corps, objet de révélation, est aussi un objet de construction, et c’est précisément le sens du travail. Par le travail l’homme façonne sa propre présence au monde. Voilà qui redonne au mot « travail » un tout autre sens que celui de nos modernes travaux forcés…

Le monde qui nous entoure est intelligible. Dans cette perspective, le temple est construit d’une part comme mémoire de la présence invisible de cette souveraine intelligibilité et d’autre part comme révélation du « cogitor », du fait que je suis pensé. L’éveil de l’homme à lui-même passe par l’éveil à l’intelligibilité du monde qui l’entoure. Mais ce n’est que la première des anamnèses. Pour que la pensée s’exprime, il faut la médiation du langage, qui prend la place des choses et s’y substitue jusqu’à constituer une sorte d’écran qui nous empêche de voir le réel. C’est le sens du mythe de Babel, exposé dans la neuvième poursuite. Babel : le lieu où l’homme prétend à une unité qu’il se donne lui-même au lieu de la recevoir de Dieu ; Babel, le lieu symbolique de la confusion mentale, – encore la nôtre – ; Babel, le lieu où les mots ont remplacé les choses et occultent la réalité sous un voile mental.

Il faut donc s’interroger sur ce que c’est qu’un nom. Et voila la théorie du mot et de la chose : ce qu’est la chose, ce que les philosophes appellent la « quiddité ». Pour résumer drastiquement un exposé déjà concis, la désignation est un geste qui montre la chose et la distingue, la marque. Cette marque « le type », est gravé dans l’homme, (non dans la chose, contrairement à une tradition philosophique largement reconduite). Or, la manière dont Dieu se donne est comme une signature dans les choses et dans l’homme, cette signature est en quelque sorte le « nom de Dieu ».

Autrement dit, le terme de la pensée, c’est Dieu.

Toute la tradition catholique répète à satiété que Dieu nous aime, mais elle ne met que rarement en avant cette simple idée : Dieu nous pense. Je suis pour Dieu un objet de pensée autant qu’un objet d’amour. Non pas un objet de pensée stérile et vain, comme dans notre univers mental, mais un objet de pensée qui me constitue comme être pensant et par conséquent constitue la source de ma pensée comme divine.

Enigme de la pensée est une somme, il est vrai, autrement dit quarante années de patient travail, mais c’est aussi un guide pratique de comment apprendre à penser, ou comment décider librement de ne pas se soumettre aux idées modernes.

Non, nous ne sommes pas les purs produits de notre milieu familial ou social, mais le fruit de l’intelligence et de l’amour divin, de la Pensée de Dieu. Et cette Pensée s’exprime dans une parole. Nous participons, si nous le voulons bien, de cette « Parole » de Dieu, dans l’architecture vivante qu’Il a conçu et voulu.

Mais pour le comprendre il nous faut accepter le lent cheminement de la pensée rationnelle, de ses détours, de ses pauses, de ses haltes, de ses lentes digestions et de ses incertaines et improbables pérégrinations.

Et donc de relire au moins trois fois ces quinze poursuites qui traquent un bien étrange gibier…

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PRESENTATION de l’éditeur :
Cet ouvrage se propose d’introduire une nouvelle façon d’étudier l’anthropologie en l’abordant par le thème de « la pensée » qui n’a pas d’âge, car nous sommes là au cœur de ce qui fait l’« Homme », comme le déclarait Blaise Pascal : « Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, tête (car ce n’est que l’expérience qui nous apprend que la tête est plus nécessaire que les pieds). Mais je ne puis concevoir l’homme sans pensée : ce serait une pierre ou une brute. »

La pensée humaine est une énigme pour elle-même : comment « penser la pensée » ? Nous sommes nécessairement juges et parties !

Il se trouve que les hommes ont dit à travers les mythes ce qui ne pouvait pas monter immédiatement à leur conscience explicite, faute d’un développement de la logique. C’est pourquoi ils se sont exprimés de façon énigmatique par des récits mythiques parmi lesquels on trouve aussi des récits à caractère « révélé ». L’intuition mythique s’allie fort bien à un développement récent de la logique quaternaire pour rendre explicite des structures où paraissent des termes habituellement non-dits, comme ceux décrivant les « prototypes » a priori inconnaissables, ou encore les « archétypes » à peine entrevus dans la pensée sur les symboles.

Préface : Une nouvelle apologie du Christianisme

Citadelle d’espérance au milieu du désert

Il n’y a pas de logique dans le mal, qui est dépourvu de tout système respiratoire. C’est pour cela que, dans un monde divisé par les guerres et envahi par les idéologies, l’atmosphère devient irrespirable. Il nous faut donc trouver une citadelle d’espérance au milieu du désert, pour pouvoir respirer l’air pur de la Vérité, qui remplit les hauteurs.
La logique dont traite ce livre, une « logique du bien », a été découverte et méditée par son auteur depuis de longues années passées dans la solitude d’un ermitage couronné par la beauté, sans souci de l’horloge, au rythme bien plus large que le temps, du paysage des Alpes. C’est le fruit de l’étude et de la contemplation. La neige du sommet, où repose la Vérité, génère les ruisseaux qui descendent vers la vallée afin que la vie humaine puisse reverdir, répondant à sa vocation originelle et à sa destination ultime dans la liberté personnelle. Ce livre, qui recueille l’eau cristalline provenant des cimes enneigées, nous est offert comme un « manuel » pour nous aider à comprendre et admirer la merveilleuse logique dont est tissue l’anthropologie biblique révélée.
Les lecteurs qui ont suivi les réflexions de Jean-François Froger connaissent déjà la finesse de l’auteur dans le dévoilement des structures quaternaires de la réalité créée, et savent que, notre logique habituelle étant binaire, on peine à trouver une logique adaptée à la structure même de la vie ; et ils ont appris avec l’auteur à découvrir émerveillés comment les récits de l’Écriture Sainte, de la Genèse à l’Apocalypse, fonctionnent précisément avec la logique qui convient à la vie, qui est une logique quaternaire quand il s’agit des structures d’une totalité quelconque (à cette structure quaternaire de la réalité créée et à sa logique propre est dédiée une première partie du livre, § 1-20), et une logique ternaire quand il s’agit des réalisations ou des transformations. Les § 21-26 étudient la logique ternaire et la développent dans des exemples de l’Écriture, pour découvrir sa valeur inestimable pour l’interprétation du songe de Jacob dans Genèse 28, 10-21, la controverse avec les pharisiens sur la filiation et l’état de disciple dans Jean 8, 31-45, la guérison de l’aveugle de Bethsaïda dans Marc 8, 22-26 ; le sommet de l’œuvre se trouve dans l’application de cette logique ternaire à la compréhension des états du corps du Christ et au mariage comme institution rituelle qui construit l’humanité des rapports humains, et dont la logique de parole est dévoilée dans le processus de révélation qui va des noces de Cana au sang de la Nouvelle Alliance.
L’auteur rassemble dans cet ouvrage des fragments dispersés dans les excursus et les annexes de différentes études d’anthropologie publiées, pour former un petit traité de « logique intégrale » au service d’une nouvelle apologie de la foi. D’une certaine manière, ce livre constitue une sorte de « recueil rétrospectif », parce qu’il invite à reprendre l’étude des œuvres antérieures d’un point de vue différent, qui offre des richesses vraiment nouvelles. Dans ce dernier livre on a atteint finalement… le principe ! On peut maintenant, à partir de ce sommet, refaire en sens inverse tout l’enseignement de notre exégète avec une nouvelle clé en main, ouvrant des portes qui, peut-être, étaient restées auparavant inconnues et donc fermées. Le travail recommence, parce que, étant pèlerins sur cette terre, chaque but atteint n’est qu’une étape provisoire.
Quelle est cette nouveauté, qui fait que tout le chemin parcouru par notre auteur en compagnie de ses auditeurs, pendant des décennies, dans la recherche de la logique qui sous-tend la Révélation divine, redevient maintenant une source toute jaillissante de fécondes découvertes ? C’est sans aucun doute le dévoilement de la quaternité de la Vie humaine, qui apparaît en pleine lumière comme une quaternité de quaternités, dont la complexité peut nous aider à pénétrer les diverses dimensions de la réalité relationnelle humaine, comprise comme une relation gouvernée par la Parole divine et culminant dans l’unicité singulière de l’hypostase personnelle de chacun, concomitante avec les trois autres dimensions. Voici le schéma qui résume les développements de la première partie de l’œuvre :

Cette nouvelle quaternité de la Vie humaine, dont la logique est régie par le Verbe divin, peut être considérée comme la pierre angulaire de tout l’édifice construit par Jean-François Froger jusqu’à ce moment. Une préface ne suffit pas pour mettre en lumière tous les enjeux de cette étude, grosse de pistes nouvelles pour l’anthropologie de la personne, la relation de l’homme et de la femme, l’ecclésiologie fondamentale, la christologie et même l’eschatologie. Aux lecteurs d’en juger, et aux théologiens, s’ils veulent écouter, d’en profiter. Je souligne tout simplement quelques pistes majeures.
En se fondant sur cette pierre angulaire, le livre veut offrir « une nouvelle apologie du christianisme ». Il s’agit de la nouveauté de la pédagogie de Jésus qui, sur le chemin d’Emmaüs et dans les apparitions pascales, ouvrit l’intelligence des disciples « afin qu’ils comprennent l’Écriture » (Luc 24, 45), et en elle, comme dans un miroir, sa propre existence fragmentée. L’apologie ainsi comprise nous enseigne à lire l’Écriture et la vie à partir de la logique du Ressuscité, c’est-à-dire, à la lumière de l’Écriture elle-même. Il ne faut surtout pas projeter notre intelligence sur l’Écriture pour la traduire pauvrement en nos concepts binaires, on doit plutôt apprendre à lire l’Écriture pour devenir vraiment intelligents. Cette apologie peut être
comparée à l’effort du prêtre russe Pavel Florenskij (fusillé en 1937, inhumé dans une tombe anonyme, comme une semence jetée en terre…) pour faire comprendre, dans sa Philosophie du culte, cette vérité fortement enracinée dans la tradition chrétienne orientale : on n’est pas constitué en homme-individu autonome (comme dans la mentalité dualiste moderne) pour célébrer ensuite les sacrements, mais on célèbre les sacrements pour devenir homme,
et homme rationnel, parce que le culte, et spécialement le sacrement eucharistique, est, dans les paroles du grand mystique sacramentaire byzantin du XIVe siècle Nicolas Cabasilas, le « laboratoire de la résurrection », le rituel étant le garant et la vérification de l’humanité de l’homme.
La grande tâche de notre temps, face à la profonde crise anthropologique, est de nous approprier de manière réfléchie l’anthropologie implicite dans la logique de la Révélation, qui ne cherche rien d’autre qu’à construire l’Homme. Compte tenu de la hauteur vocationnelle de notre temps et des exigences qui lui sont imposées, il ne suffit tout simplement pas d’utiliser
la vieille outre des concepts philosophiques pour y insérer l’anthropologie révélée. Ce n’est pas la notion d’être statique, mais la notion de relation qui est première pour l’intelligence. Le logos révélé vient d’une pensée qui n’est plus centrée sur l’être, mais sur la Vie. C’est une pensée intégrale qui ne connaît pas la mort ni ne la justifie, mais, choisissant la vie selon l’invitation
de la Parole divine (Deutéronome 30, 19-20), suit rituellement les étapes de sa logique vivante.
L’Écriture contient donc une logique de la Vie. L’apologie tentée dans ce livre présente les instruments logiques nécessaires pour commencer à comprendre l’étonnante affirmation de Jésus : « Je suis la Vie. » (Jn 14, 6) Ainsi, une raison qui a accès à la révélation chrétienne aura donc accès aux mystères de la vie. Alors la correspondance entre la Parole divine et les profondeurs du cœur humain sera établie, parce qu’il y a une logique commune aux deux mystères : « Abyssus abyssum invocat. » (Ps 41, 8) On dit aujourd’hui que la prédication ecclésiale vit d’une anthropologie médiévale et archaïque. Mais ce qui a vieilli, c’est notre conception binaire. Il s’avère que la logique quaternaire de la révélation, lorsqu’elle est découverte, est quelque chose d’éternellement nouveau, qui ne cesse de jaillir comme d’une
fontaine fraîchement ouverte. Le signe de la véracité de la Révélation est la cohérence profonde des mystères entre eux (analogia fidei) et avec les profondeurs du cœur humain (analogia entis), comme l’a souligné le concile Vatican I dans la Constitution Dei Filius.
Cette nouvelle apologie du christianisme nous invite à ne pas avoir peur de redécouvrir le christianisme comme Vérité, et de restituer son système respiratoire (sa logique de Vie) en chaque créature humaine, singulièrement, de personne à personne, de cœur à cœur. Nous donnerons ainsi raison à « la foi de nos pères », comme l’a souhaité le grand philosophe russe Vladimir Soloviev, auteur d’une philosophie de la « connaissance intégrale », bien
actuelle à plusieurs égards.
L’homme est le fruit du travail de Dieu. Il faut l’aider en complétant avec notre parole orale ce qui manque à l’humanité de l’homme, ce que ne peut pas fournir l’automatisme animal ni la lutte binaire de l’homme et de la femme : la parole rituellement reçue est la condition de la survie spirituelle de l’humanité. Parce que l’humanité dans l’homme est la valeur la plus menacée, et précisément à cause de l’idéologie, qui est un refuge pour ceux qui fuient la vie (pour échapper au désir et à la décision). À notre époque, l’idéologie est manifestement destructrice, on voit partout à l’oeuvre une destruction apocalyptique, mais « ceux qui vous construisent vont plus vite que ceux qui vous détruisent » (Isaïe 49, 7). Il faut savoir découvrir en ces temps troublés les signes de la Providence divine et son appel à la liberté, à l’intelligence et à la volonté de l’homme. Parce que la Vérité suit son cours imparable ; le rationalisme a déjà été vaincu, tout comme le fidéisme. L’intelligence va être rendue à la foi et la foi à l’intelligence, et cela accomplira le monde. Être chrétien est tout simplement comprendre les Écritures. C’est l’heure de la compréhension intégrale de la Révélation. Si une seule créature s’ouvre à la Vérité, la lumière a déjà vaincu les ténèbres, car la Vie éternelle aura été établie dans un cœur humain. De ce cœur, au nom de tous, jaillira alors un fleuve de lumière, qui est le Verbe de Dieu lui-même, dans lequel nous sommes et vivons.
À vous tous, qui aimez fréquenter les rares pages qui construisent un rempart pour garder la mémoire intérieure et laissent dans l’âme le goût de l’Esprit : rien dans ce livre ne vous décevra. Alors ne vous découragez pas, laissez-vous mener par la main (c’est l’objet d’un « manuel ») et utilisez les meilleures heures du jour et de la nuit dans son étude. Le fruit en sera la joie, la clarté et l’illumination du profond désir de vivre, qui est la marque de notre liberté, le sceau du Créateur dans notre cœur. C’est en cela que consiste l’apologie du christianisme : creuser les puits du désir qui avaient été bouchés quand le paradis s’est transformé en terre d’épines, pour nourrir à nouveau l’intelligence et construire, avec l’instrument d’une logique intégrale – avec le « logos » du « Logos », avec le geste du Verbe incarné –, une citadelle d’espérance au milieu du désert. Pour la vie de l’Homme. Pour la paix du monde.


Écrit au Liban, première semaine de Pâques, avril 2022


P. Francisco José López Sáez
Professeur de théologie spirituelle
à l’Université pontificale de Comillas des jésuites de Madrid,
et de spiritualité et liturgie des Églises d’Orient
à l’Université ecclésiastique San Dámaso

Préface : Six chemins pour connaître sagesse et intelligence

Préface du Père Francisco José López Sáez

Le livre que vous avez entre les mains est le fruit d’une intense recherche, menée avec la rigueur de l’intelligence et la passion du cœur. Ces six chemins, poursuivis tout au long d’une retraite de prière, nous attirent sur la route des Béatitudes de l’Évangile, en invitant le lecteur bienveillant à une aventure de l’esprit dont, c’est sûr, il ne reviendra pas comme il a commencé. C’est que, en écoutant avec le cœur intelligent ces paroles toujours neuves de notre Seigneur, la sagesse vient à notre rencontre en jaillissant de la Source de toute béatitude, la Bonté divine.
En effet, dans les langues sémitiques de la Révélation, dans lesquelles Jean-François Froger sait pousser avec tant de maîtrise l’eau vive d’une anthropologie biblique, l’expression qui ouvre chacune des neuf béatitudes de Jésus (tubayhon, dans l’araméen parlé par Lui) fait écho à la proclamation qui rythme avec exultation la scansion des six jours de la création : le « c’était bon » (l’hébreu tob, de même racine), « c’était très bon » (Gn 1, 31), avec lequel le Créateur bénit ses œuvres, son œuvre qui est l’Homme. La Divinité nous montre dans la Genèse que notre vie de créatures appelées à devenir des interlocutrices personnelles de sa Parole doit être couronnée avec la même Bonté-Beauté de tout ce qui relève de l’œuvre de l’amour divin : cette Bonté qui n’existe dans les choses créées que parce qu’elle réside originairement dans le regard même de l’amour du Dieu-Trinité. La même voix divine qui proclame « au commencement » la bonté radicale au fondement de la liberté de la créature proclame « sur la montagne » de Galilée, par la bouche du Verbe Incarné, la « béatitude » de la communauté qui a reconnu, en pleine conscience, Jésus comme le Messie.
Justement la reconnaissance de Jésus comme le Messie est l’enjeu de cette merveilleuse composition des neuf béatitudes. L’auteur du livre a su montrer l’art splendide de la parole de Jésus, qui tisse dans son enseignement, avec un style inimitable, les échos de toute la Révélation (« Moïse, Prophètes et Écrits », Lc 24, 44), pour éveiller la foi des disciples en Lui : tubayhon, « c’est une Bonté » d’être pauvre en esprit, endeuillé, humble, affamé et assoiffé de la justice-rectitude, miséricordieux, pur dans le cœur, quelqu’un qui fait la paix, persécuté à cause de la sainteté, et finalement calomnié et mis à part, parce que ces conditions sont le trésor même des vertus de l’Homme accompli, le Messie. C’est Lui, Jésus lui-même, qui vit dans son humanité, dans sa prière, sa vie et sa mort, les béatitudes qu’il proclame pour nous : elles parlent de son propre mystère et font de tout disciple qui les écoute et ne projette guère ses pré-concepts acquis un participant du Royaume des cieux, un fils de Dieu, voyant Dieu, un croyant finalement capable de pratiquer la Loi de Dieu, parce qu’il l’a comprise de l’intérieur grâce à la révélation de Jésus, en rejouant les béatitudes dans sa propre vie, parce que, nous dit l’auteur, « pour reconnaître le Messie Fils de Dieu, il faut être à son image ».
Les béatitudes sont, donc, grâce à la foi qu’elles communiquent à qui sait discerner par son écoute la multitude d’appels bibliques qui tissent son message, la source de cette Sagesse qui devra un jour ouvrir les yeux des disciples au sens profond de la création et de l’Écriture, et de leur propre existence dans le miroir des choses créées et des paroles divines. Ça sera l’œuvre du Ressuscité sur le chemin d’Emmaüs, qui couronne l’annonce de ses « béatitudes » avec la réalité de sa propre Résurrection : celle-ci accomplit le « très bon ! » du fiat créateur initial, ouvrant le cœur des disciples pour qu’ils puissent reconnaître, dans son Humanité de Grand-Prêtre, le lieu de la présence divine, et dans les béatitudes qui résument son identité messianique la porte de l’irruption du monde à venir, de la vie bienheureuse. C’est bien le Christ Vivant qui change la pesanteur du cœur des disciples en réceptacle de la Sagesse d’en-Haut. Il induit en eux, donc, une Sagesse qu’on pourrait bien définir, à juste titre, comme une Sagesse de résurrection, une intelligence qui regarde le monde et la vie de l’intérieur de la Bonté-Béatitude de la vie ressuscitée, un intellectus resurrectionis. Les grands mystiques de la tradition syro-orientale, qui lisaient le Nouveau Testament en araméen de la Peshytta, nous rendent témoignage de cette Sagesse « résurrectionnelle » des Béatitudes. Comme nous dit, par exemple, Joseph Hazzaya, auteur spirituel du VIIIe siècle : « La résurrection du Christ, c’est un intellect qui s’est relevé de sa chute, un cœur dont les yeux ont été ouverts, et à qui a été donné de participer à la contemplation des réalités corporelles et de celles qui sont au-dessus du corps, du jugement et de la providence divine. » (Centurie di conoscenza, III, 51, Patrologia Orientalis, t. 58, Turnhout/Belgique 2023, p. 144) À cette intelligence profonde est dédiée le sixième chemin de la retraite, où l’auteur déploie, après l’étude des jeux de sens des tresses à multiples directions dans lesquelles nous sommes invités à méditer les béatitudes, une logique ternaire qui correspond à une Sagesse et Intelligence vraiment inspirées, celles du Verbe créateur lui-même. Cette logique ternaire, en plus de la logique quaternaire, sont une découverte de Jean-François Froger qui est appelée à éclairer d’une nouvelle lumière la pensée profonde de la révélation avec une sagesse où est tissée la résurrection. Le fruit de l’étude patiente et de la réception de cette logique de la révélation sera la joie, l’éveil d’une profonde compréhension, la foi vécue !
Je me permets une dernière remarque : c’est le constat, dans mon propre travail de théologien, de la richesse de ce livre-retraite pour le renouveau théologique de l’ecclésiologie dans l’actualité. Les disciples qui reçoivent sur la montagne l’enseignement des béatitudes forment le « noyau » de l’Église. Ça veut dire que l’Église est elle-même née des béatitudes, de la même Bonté-Beauté de résurrection d’où jaillissent les paroles de Jésus. Habitués comme nous sommes à regarder seulement l’extériorité de l’Église, dans son image endommagée par les conflits et même souillée par les scandales dans le moment présent, on sent dire parfois, quand on essaie d’expliquer les origines du christianisme comme un fait vraiment spirituel et profondément significatif au milieu des épreuves de l’histoire, cette expression pleine d’amertume : « C’est trop beau pour être vrai. » On suppose donc que la vérité doit être laide, parce que, selon la mentalité commune, même académique, « tout provient du chaos », et tout ordre et beauté ne sont qu’une imposition de la volonté humaine pour vaincre le chaos initial, sans jamais pouvoir en sortir. La « beauté » avec laquelle on aimerait définir l’Église ne serait rien d’autre qu’une décoration superficielle qui cache la grande et authentique vérité, une patine de peinture de mauvaise qualité qui recouvrirait l’unique réalité dont est formée l’histoire commune de l’humanité « réelle » et empirique : la guerre de tous contre tous, comme on le voit de nos jours. L’Église elle-même serait née du chaos de l’histoire, comme un pacte entre partis ennemis sortis de la contraposition d’idéologies irréconciliables, comme l’institution, nécessaire pour pouvoir survivre à la violence, d’une Constitution qu’on appelle le Nouveau Testament, un pacte écrit dont la beauté ne résiste finalement à la loi de tout ce qui est soumis au temps… la dégradation et la mort ? C’est peut-être cette incompréhension du monde scientifique face aux vraies origines de l’Église, cette cécité des chrétiens eux-mêmes vis-à-vis de la mémoire vivante et spirituelle de l’histoire profonde du christianisme, qui constituent le secret des dernières béatitudes, celles qui parlent de la persécution, la calomnie, le déni de croire. Mais ici résonne avec force l’invitation de Jésus : réjouissez-vous dans l’allégresse, parce que vous serez les successeurs de la génération des prophètes fidèles intérieurement à la Parole divine, tous ceux qui ont été massacrés dans l’histoire pour participer à la passion du Messie ! Et l’histoire se transformera en joie et exultation du Royaume par la souffrance de ces justes et l’amour des petits.
Oui, l’énoncé des « Béatitudes » révèle précisément une autre origine : Jésus est le Messie, Fils de Dieu incarné, fondateur du noyau vivant des disciples-apôtres. Nous pouvons y voir l’acte de conception de la Quéhila, avant sa naissance à la Pentecôte ! Les Béatitudes nous enseignent, non pas à imaginer en projetant nos désirs, mais à concevoir et à toucher de nos mains la possibilité d’une origine humaine vraiment belle et sainte, tout au milieu de notre histoire de violence. Y a-t-il, dans cette création souillée par le péché et la tristesse, un lieu humain qui ne soit pas affecté par les conflits mimétiques, une conception immaculée de la nature humaine ? Si on le trouvait, on aurait devant les yeux une origine sainte, ontologiquement belle et pacifiée, un lieu de vrai bonheur et une espérance sereine, une naissance à l’innocence. « Heureux ceux qui font la paix, car ils seront appelés fils de Dieu. » Le lieu de l’origine et de la conception de l’Église est le sein virginal de Marie, qui a été à juste titre proclamée « Mère de l’Église », c’est-à-dire, elle est le sein humain de la conception de l’Église et le lieu de son origine, comme elle est le sein d’où jaillit le Verbe divin dans son incarnation. Et tout ce qui naît de Marie est saint et « heureux », et vient au monde marqué par la béatitude de Celle que « toutes les générations appelleront bienheureuse » (Lc 1, 48). Marie est Mère et origine humaine de l’Église parce qu’elle est la Femme des béatitudes, l’écho parfait de la Félicité de son Fils et Dieu. Elle est la Mère de notre authentique bonheur, qui est dans l’Église sainte. Et l’Église n’est pas notre honte, elle est notre « joie éternelle », comme aimait à le dire, dans le Paris de l’exil d’après la révolution de 1917, le théologien russe Serge Boulgakov, cette joie que rien et personne ne pourra nous enlever.
Certes, le bonheur que nous ne nous lassons pas de rechercher avec ténacité au plus profond de nos désirs et de nos calculs s’échappe de nos mains comme de l’eau que l’on voudrait tenir dans un poing. Il faut plonger dans l’eau, nus comme dans notre baptême, ou « pauvres en esprit », comme dans la première béatitude, pour trouver que c’est nous qui sommes recherchés, sauvés dans la Bonté. Et voici que nous retrouvons le bonheur dans la Bonté-Beauté, au moment même où, oublieux de nous-mêmes, nous nous abandonnons à une autre sagesse, à la connaissance spirituelle qui est le fruit d’une profonde transformation intérieure.

Bienheureux ceux qui écoutent, parce qu’ils vivront dans le présent la Joie éternelle !


P. Francisco José López Sáez
Professeur de théologie et spiritualité de l’Orient chrétien
à l’Université ecclésiastique San Dámaso de Madrid,
et d’ecclésiologie et philosophie de la religion
au Séminaire du Diocèse de Ciudad Real, Espagne

Le Shabbat

Homélie du Fr. Jean-Sébastien, ocd – Vendredi 19 juillet 2024

Mt 12, 1-8

En ce temps-là, un jour de sabbat, Jésus vint à passer à travers les champs de blé, ; ses disciples eurent faim et ils se mirent à arracher des épis et à les manger. Voyant cela, les pharisiens lui dirent : « Voilà que tes disciples font ce qu’il n’est pas permis de faire le jour du sabbat ! » Mais il leur dit : « N’avez-vous pas lu ce que fit David, quand il eut faim, lui et ceux qui l’accompagnaient ? Il entra dans la maison de Dieu, et ils mangèrent les pains de l’offrande ; or, ni lui ni les autres n’avaient le droit d’en manger, mais seulement les prêtres. Ou bien encore, n’avez-vous pas lu dans la Loi que le jour du sabbat, les prêtres, dans le Temple, manquent au repos du sabbat sans commettre de faute ? Or, je vous le dis : il y a ici plus grand que le Temple. Si vous aviez compris ce que signifie : Je veux la miséricorde, non le sacrifice, vous n’auriez pas condamné ceux qui n’ont pas commis de faute. En effet, le Fils de l’homme est maître du sabbat.

Le shabbat est universellement reconnu comme le jour sacré du Judaïsme. L’origine de cette obligation se trouve dans la révélation de Dieu à Moïse sur le mont Sinaï, comme le décrit le livre de l’Exode[1]. Dans chaque texte, on trouve ce commandement : « Six jours tu travailleras et tu feras tout ton ouvrage. Et le septième jour est un shabbat pour YHWH ton Dieu ; tu ne feras aucun ouvrage… » (Ex 20, 9 ; Ex 31, 15). On remarque l’insistance sur cette périodisation du temps, qui est à l’origine de notre semaine, basée sur l’exemple de Dieu créant le monde en six jours et se reposant le septième. Il s’agit donc de suivre l’exemple divin.

Pour clore la discussion de ce jour avec les Pharisiens, Jésus affirme : « Le Fils de l’homme est maître du shabbat » (Mt 12, 8)[2]. Saint Grégoire le Grand commente avec assurance : « Nous considérons que la personne de notre Rédempteur, notre Seigneur Jésus Christ, est le vrai shabbat. »[3] (Verum autem shabbatum ipsum redemptorem nostrum Iesum Christum Dominum habemus). En d’autres termes, Jésus incarne pleinement le sens spirituel du shabbat.

Le shabbat est aussi à l’origine du dimanche chrétien. Saint Jean-Paul II le souligne dans sa lettre apostolique Dies Domini, où il traite du passage « Du shabbat au dimanche » : « À la lumière de ce mystère, le sens du précepte vétérotestamentaire sur le jour du Seigneur est repris, intégré et pleinement dévoilé dans la gloire qui brille sur le visage du Christ ressuscité (cf. 2 Co 4, 6). Du “shabbat”, on passe au “premier jour après le shabbat”, du septième jour, au premier jour : le dies Domini devient le dies Christi ! »[4]

Les quatre évangélistes rapportent sept récits[5] où Jésus est contesté par les Pharisiens pour ses actions le jour du shabbat. Jésus enseigne que le shabbat prend tout son sens et se réalise pleinement en lui. Mais qu’est-ce que le shabbat ? Pourquoi Jésus agirait-il en contradiction avec les interdits du shabbat ? Cela semble paradoxal pour un rabbi comme Jésus ! En effet, il sait que le shabbat enseigne sur le monde, la nature humaine et Dieu. Le shabbat est un rituel d’attente de la résurrection des corps.

L’évangile du jour pose la question centrale : pourquoi les disciples de Jésus font-ils ce qui n’est pas permis le jour du shabbat ? La discussion avec les Pharisiens amène Jésus à un raisonnement a fortiori : si David a pu manger des pains sacrés (1 S 21-22), combien plus les disciples peuvent-ils manger des épis le jour du shabbat, car Jésus est plus que David ; il affirme être plus grand que le Temple : « Or, je vous le dis : il y a ici plus grand que le Temple. ». La comparaison avec David souligne la « sainteté » de Jésus et de ses disciples. Jésus est le véritable et unique Grand Prêtre, et sa résurrection le confirme. En citant la Torah, Jésus souligne que les Pharisiens s’appuient sur autre chose que la Torah, expliquant ainsi leur manque d’argumentation. Le problème est de déterminer ce qui est permis ou interdit le jour du shabbat, et quelle autorité peut trancher ces hésitations. La présence de l’esprit impur chassé de l’homme le jour du shabbat à la synagogue (Cf. Mc 1, 21 et Lc 4, 31) offre la clé de la discussion.

La Torah nécessite une interprétation, et c’est là que la « parole étrangère » peut se mélanger avec la parole de Dieu, altérant le principe d’interprétation. Aucun texte de l’Écriture ni de la tradition mishnique ne permet de juger les disciples de Jésus comme fautifs. Les Pharisiens imposent une autorité qu’ils s’attribuent eux-mêmes, tentant d’intimider les gens et d’imposer un pouvoir religieux et social abusif. Jésus ne répond pas à la provocation ; il n’entre pas en discussion avec eux, ce qui serait leur reconnaître un pouvoir. Au contraire, il enseigne une vérité fondamentale sur le shabbat : Quelles sont les conditions nécessaires pour qu’un être libre, créé « à la ressemblance de Dieu », puisse exister ? L’ensemble des actions de Jésus vise à rendre le Shabbat accessible et réel pour tous les hommes. C’est pourquoi Jésus déclare dans ce même épisode rapporté par saint Marc : « Le shabbat a été fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le shabbat »[6]. Jésus nous enseigne ainsi le Repos de Dieu en l’homme, en définitive comment vivre de la sainteté divine, de la vie divine.

Jésus enseigne que ses disciples, comme les prêtres dans le Temple ou David et ses compagnons, sont consacrés, sont saints. Ils sont les compagnons de l’Oint du Seigneur (le Messie), ayant tout quitté, même l’union avec la femme. Jésus est le Saint de Dieu, comme les prêtres sont « saints » dans le Temple et comme David et ses compagnons le sont avant leur service au Temple ou avant de partir en campagne.

La révélation lie le shabbat et le sanctuaire dans la même révérence : « Vous garderez mes shabbats et vous révérerez mon sanctuaire, Moi (je suis) YHWH. » (Lv 26, 2). Il ne s’agit pas de donner des dispenses, mais d’accéder à la Vie. L’homme saint est celui où la vie de Dieu se communique. Pour que Dieu soit vraiment connu, il faudrait un homme qui soit Dieu, sans confusion ni séparation, incréé en tant que Dieu, créé en tant qu’homme, dans l’unité des deux natures. Cet homme serait l’incarnation du Verbe.

C’est Jésus, selon la foi chrétienne, une foi unique et rationnellement pensable. Toutefois, il faut reconnaître en Jésus cette union des deux « natures », divine et humaine. La manière dont Jésus a vécu le shabbat nous éclaire sur ce mystère. Ainsi, Jésus est bien le maître du Shabbat, car en lui réside la plénitude de la divinité (Cf. Col 2, 9). Amen.

Fr. Jean-Sébastien, ocd[7]


[1] Ex 20, 1-17. Nous trouvons dans d’autres textes de l’écriture la nécessité du shabbat Dt 5, 6-21 ; Ex 31,12-17 ; Ex 34, 21-28.
[2] Nous avons le parallèle de Mt 12, 1-8 en Mc 2, 23-28 et Lc 6, 1-5 qui n’apportent pas d’élément différent sauf qu’en Luc, les pharisiens s’adressent directement aux disciples et non à Jésus.
[3] Saint Grégoire le Grand, Homiliae in Evangelia, Homélie 15, § 6.
[4] Jean-Paul II, Lettre apostolique du pape Jean Paul II sur le dimanche : « Dies Domini », Rome, 7 juillet 1998, n° 18.
[5] I. L’homme à l’esprit impur Mc, 1, 21 / Lc 4, 31 II. L’épisode des épis arrachés Mc 2, 23 / Mt 12, 1 / Lc 6, 1 III. L’homme à la main desséchée Mc 3, 1 / Mt 12, 10 / Lc 6, 6-11 IV. La femme courbée dix-huit ans Lc 13, 10 V. L’hydropique chez le pharisien Lc 14, 1-6. VI. Le paralytique de Bézatha Jn 5, 1-18 VII. Guérison de l’aveugle-né Jn 9, 1-41.
[6] Mc 2, 23-28.
[7] Homélie s’inspire très largement du livre de Jean-François Froger, Le Maître du Shabbat, Ed. Grégorienne, 2009, p. 62-73.

Moïse et Œdipe

Dans cette série de 10 émissions, diffusées en 2018, 2019, Jean-François nous parle du mythe bien connu d’Œdipe. Bien connu, vraiment ? Vous serez surpris de ce que vous allez entendre, et surtout de comprendre que la vie de Moïse est tout aussi symbolique et « mythique », c’est à dire ayant un sens caché.

Le prochain livre de Jean-François est précisément sur le sujet abordé dans ces émissions. Cliquez ici pour accéder à la page de ce livre.

1 – Moïse et Œdipe
2 – Moïse et Œdipe
3 – Moïse et Œdipe
4 – Moïse et Œdipe
5 – Moïse et Œdipe
6 – Moïse et Œdipe
7 – Moïse et Œdipe
8 – Moïse et Œdipe
9 – Moïse et Œdipe
10 – Moïse et Œdipe

La genèse

Dans cette série de 12 émissions, diffusées en 2014, 2015, Jean-François nous parle des 6 jours de la Création. Comment comprendre le tout début de la bible devient fondamental pour la compréhension du reste

1 – Introduction
2 – Le commencement
3 – Le jour biblique
4 – Le soir et le matin
5 – La séparation des eaux
6 – Les eaux d’en haut, les eaux d’en bas
7 – Caché – Révélé
8 – Naissance du langage
9 – Les symboles, les rituels
10 – Éléments de la vie psychique
11 – Le sixième jour
12 – À l’image de Dieu

Les alliances

Dans cette série de 19 émissions, diffusées en 2011, 2012 et 2013, Jean-François nous parle des alliances que Dieu veut établir avec l’Homme, afin de le rétablir dans sa véritable Nature Humaine.

1 – Les structures de l’alliance
2 – Noé, le coffre, les animaux
3 – Chronologie du déluge
4 – Noé et ses fils
5 – L’alliance avec Abram
6 – Changement de nom d’Abram et de Saraï
7 – La circoncision
8 – L’épreuve d’Abraham
9 – Le songe de Jacob
10 – Le combat de Jacob
11 – Histoire de Moïse
12 – Les buissons ardents
13 – La révélation de Nom de Dieu
14 – Proposition d’alliance avec le peuple
15 – Réalisation de l’alliance avec le peuple
16 – Alliance avec le sang et table de l’alliance
17 – Alliance avec David
18 – Les débuts du roi David
19 – La conclusion de l’alliance avec David