Préface : Moïse et Œdipe

Préface du Père Francisco José López Sáez

pour l’ouvrage « Moïse et Œdipe » de J-F Froger

Parcours de la Sphynge d’Œdipe à la Croix du Christ, en traversant le mystère marial du Buisson Ardent de Moïse

Le titre de ce livre pourrait nous surprendre : comment trouver des points communs entre le mythe d’Œdipe et la vie de Moïse, appartenant à deux univers tellement éloignés l’un de l’autre que l’on douterait de la pertinence de toute comparaison ? Ces pages nous conduiront-elles dans un labyrinthe épais dont il nous sera impossible de sortir ? Entreprendre une nouvelle interprétation d’un mythe ancien, omniprésent dans notre culture, des arts plastiques à la psychanalyse, semble ne pouvoir rien ajouter aux milliers de pages déjà écrites, qui prennent pour acquis la lecture du mythe qu’en proposait Sigmund Freud… en faisant un nouveau mythe !

Il n’en est rien. On peut affirmer avec assurance que les pages qui suivent offrent aux lecteurs inquiets du sort de l’homme et de sa destinée spirituelle des clés véritablement nouvelles pour comprendre la figure d’Œdipe et, en lui, le destin de l’homme tout court, de chacun de nous.

            Avec l’instinct d’un savant habitué depuis de nombreuses années à comprendre la révélation biblique comme un puits véritablement inépuisable de renseignements précieux pour la compréhension de l’homme, l’auteur ne pouvait ignorer les conceptions et les questions anthropologiques qui émergeaient déjà dans les mythes antiques. Ce livre est né d’un long exercice de méditation sur l’énigme de l’homme, en prenant conscience, après beaucoup de recherches, cours radiophoniques et retraites de prière, que la question sur l’homme ne peut être résolue que dans un dialogue avec le créateur de l’homme lui-même. L’anthropologie biblique s’écrit en dialogue avec Dieu, ou peut-être dans un combat amoureux, comme celui de Jacob avec l’ange, où la demande « Quel est ton Nom ? » revient à l’homme comme une bénédiction qui le requalifie avec une nouvelle identité : « Ton nom sera Israël » (Gn 32, 25-29). C’est toujours une anthropologie liturgique, où la question est posée comme une louange : « Qu’est-ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui ? Et le fils de l’homme, pour que tu prennes garde à lui ? » (Ps 8, 4). La tragédie antique, qui a donné une forme littéraire au mythe d’Œdipe étudié dans ce livre, est aussi un acte d’adoration. Sur le plateau du théâtre l’homme déguisé en héros, mais toujours blessé de finitude, souffrance et solitude, place sa situation sans issue à la lumière de la divinité, comme une prière dans le sang, un mystère mis en scène, une sorte de sacrement de la souffrance humaine, une demande liturgique qui attend une réponse. Mais ce Dieu dont le Nom est Silence, répondra-t-il ?

            Ce livre montre que Dieu répond toujours à la question de l’homme, peut-être avec une nouvelle question posée par Dieu lui-même à sa créature. Il le fait premièrement dans l’étincelle d’inspiration qui bat dans les mythes anciens. Car là où existe une vérité authentique, même si elle est obscurément comprise, l’inspiration divine a déjà soufflé avec l’impulsion de sa vie. Or, le mythe dit, dans un langage figuré et symbolique, ce que l’homme n’est pas en mesure de reconnaître rationnellement. Fenêtre sur l’abîme de l’homme, le mythe est précisément tragique, c’est-à-dire qu’il exprime une situation pour laquelle il n’y a pas d’autre issue que la compassion cathartique et le cri de douleur. Le mythe surgit de manière intemporelle de l’obscurité de l’abîme humain, mais il lance un cri vers l’abîme de Dieu, comme une invocation, un exercice d’anthropologie liturgique qui offre au mystère impénétrable de la ténèbre divine le spectacle tragique du cœur transpercé de désespoir.

            La révélation biblique, quant à elle, utilise le même langage symbolique, et parfois avec une complexité plus grande encore que les mythes, qui sont nés du bilan de l’expérience humaine millénaire. La différence, ce qui constitue le langage biblique comme un langage révélé, c’est la lumière même de la divinité reversée directement de la source divine pour éclairer, à partir de l’abîme de Dieu, cet autre mystère qui est l’abîme humain. « Abyssus abyssum invocat » (Ps 42, 8). Le langage de la révélation, qui s’est déroulé dans l’histoire sacrée du peuple d’Israël et dans les paroles et les gestes du Messie Jésus, montre que la situation de l’homme n’est pas tragique, comme dans le mythe, mais dramatique, c’est-à-dire qu’il est possible d’en sortir lorsqu’on trouve les clés des nœuds qui ont fermé de l’intérieur le chemin de l’âme. La révélation biblique illumine la raison de quiconque veut penser jusqu’au fond, en poussant des eaux de la Parole les outils de la logique et l’analogie, très subtilement présents dans le langage révélé. En proposant avec une grande maîtrise l’utilisation articulée de tous ces outils, Jean François Froger montre dans ce livre la profonde cohérence anthropologique de la révélation chrétienne, ouverte à la question sur l’homme posée par le mythe, parce que la révélation doit et peut répondre aux plus profondes questions du cœur humain. Le mythe, en effet, s’ouvre à l’inspiration, la cherche par instinct dans les ténèbres, lui pose les « questions maudites » auxquelles seule la lumière du mystère ouvert dans le Christ peut répondre. La révélation est la lumière qui ouvre les espaces qui ne peuvent être connus que par l’inspiration, dévoilant les vrais nœuds et offrant les voies de la rédemption de l’homme Œdipe. Comme l’indique le Concile Vatican II, dans un texte qui pourrait constituer la devise de ce livre : « En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné. Adam, en effet, le premier homme, était la figure de celui qui devait venir (cf. Rm 5, 14), le Christ Seigneur. Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation » (Gaudium et Spes 22, 1).

Ce nouveau travail de Jean-François Froger exige une méditation détaillée, un travail minutieux. Les efforts ne seront pas déçus, et les fruits seront féconds. L’enjeu du parcours proposé d’Œdipe à Jésus en passant par Moïse, c’est la vie profonde de l’âme. L’enjeu de ce livre c’est la santé de notre culture humaine, tombée dans une profonde crise anthropologique. Notre temps a subi la menace la plus dangereuse, celle de la domination des quasi-vérités qui, en promettant le salut au prix de notre aveuglement, cachent dans ses idéaux scintillants d’une pure rationalité le visage ambigu d’une Chimère, la Sphinge qu’est pour soi-même l’homme Œdipe. Les racines de notre crise sont profondément spirituelles. Le lecteur découvrira émerveillé comment la Sphinge apparemment vaincue par Œdipe, mais en réalité assimilée dans la configuration de sa propre psychologie, représente une conception de l’homme qui est faite de l’ajout extérieur d’une partie seulement, la plus violente et imaginative, des vivants qui, dans l’Apocalypse, forment l’expression cohérente et unifiée de l’unité intérieure de l’Homme accompli : « En face du trône, il y a comme une mer de verre semblable à du cristal ; et devant le trône et autour du trône, quatre vivants remplis d’yeux devant et derrière. Le premier vivant ressemble à un lion, le second à un jeune taureau, le troisième a comme la face d’un homme, et le quatrième ressemble à un aigle qui vole. Ces quatre vivants ont chacun six ailes ; ils sont couverts d’yeux tout à l’entour et au dedans, et ils ne cessent jour et nuit de dire : ‘ Saint, saint, saint est le Seigneur, le Dieu Tout-Puissant, qui était, qui est et qui vient ! ‘ » (Apocalypse 4, 6-8). La Sphinge perd coupablement l’intégrité de chaque vivant et l’intégrité de cette quaternité, en refusant son propre salut et le chemin de son intégration, car elle exclut le jeune taureau, représentant de la virginité de l’âme et du sacrifice qui unifie et donne un sens à la vie. Les plaies d’Égypte, dont l’étude dans ce livre constitue un travail d’une qualité exégétique inouïe, en proposant, nous semble-t-il, une lecture entre les plus lucides de l’histoire judéo-chrétienne de la figure et la signification de Moïse, sont la révélation du mal profond du vieillissement d’Œdipe, et la proposition d’une guérison dans la jeunesse humaine qu’on trouvera seulement dans le Messie.

On est aujourd’hui en proie d’une dangereuse dérive, celle d’une pseudo-trinité qui se révèle finalement comme une Chimère de la Vérité. L’humain, en effet, a perdu son centre herméneutique dans la foi trinitaire et dans le mystère pascal du Christ[1]. Il s’agit, à la racine, d’une perte du corps humain en tant que lieu herméneutique de la divinité. La crise a une racine théologique : la perte du foyer herméneutique trinitaire, réduit à un « horizon de transcendance » incolore et fantomatique, peuplé de noms terribles, idoles de la puissance humaine, qui seront revêtus de la mission de représenter dans le monde cet effroyable horizon du « Totalement Autre » !

            Face à la véritable Trinité que nous, chrétiens, proclamons sans savoir la comprendre, nous sommes en face d’un véritable déséquilibre trinitaire, une Sphinge du mystère, une contre-réplique œdipienne et apocalyptique, bestiale, qui constitue la trame de nombreuses dérives de la Modernité : les phénomènes d’expulsion du Christ de la culture et du cœur humain, la conceptualisation rationaliste de l’être et de Dieu lui-même, l’idéal philosophique d’une « nature pure », purifiée de toute trace de grâce ou d’histoire, la « normalisation » (domestication) du Fils dans une humanité commune d’en bas (une humanité que personne n’a conçue, et dont le destin est la mort et le néant), la logicisation de l’Esprit, confondant le spirituel avec l’abstrait, laisseront l’âme, ravagée, dans une séparation et une ignorance totales de l’(E)esprit. Voici les trois visages de cette Sphinge énigmatique : le Père dé-potentialisé, le Fils devenu orphelin, l’Esprit exilé. Cette Sphinge propose à l’homme une identité très éloignée de son véritable visage humain, qui ne brille que dans le mystère de sa filiation. Ce mystère qui réclame le combat spirituel et la confiance la plus profonde dans la vérité de l’homme, qui est manifestée sur la Croix du Christ. Le cheminement vers la vraie Trinité, vers le culte du Dieu vrai, se noue au centre du carrefour où l’homme doit décider de sa propre énigme. Parce que l’homme, chacun de nous, est vraiment une profonde énigme, une quaestio insoluta, comme propose Vatican II : « Pendant ce temps, tout homme demeure à ses propres yeux une question insoluble qu’il perçoit confusément [quaestio insoluta, subobscure percepta]. À certaines heures, en effet, principalement à l’occasion des grands événements de la vie, personne ne peut totalement éviter ce genre d’interrogation. Dieu seul peut pleinement y répondre et d’une manière irrécusable, lui qui nous invite à une réflexion plus profonde et à une recherche plus humble » (Gaudium et Spes 21, 4). Et le lieu de cette filiation retrouvée de l’Homme vrai sorti de l’Egypte du mensonge pour instaurer dans le désert le culte de ce Dieu vrai est précisément la Croix du Christ et de l’humanité, au carrefour de tous les chemins, comme disait saint Jean Paul II dans une méditation à l’issue du Chemin de Croix du Vendredi Saint (1er avril 1994) : «Très chers amis, nous avons ce devoir commun, nous devons dire ensemble de l’Orient à l’Occident : Ne evacuatur Crux (cf. 1 Co 1, 17). Que ne soit pas vidée de son sens la Croix du Christ, parce que si la Croix du Christ est vidée de son sens, l’homme n’a plus de racines, il n’a plus de perspectives, il est détruit ! C’est le cri de la fin du XX e siècle. C’est le cri de Rome, le cri de Constantinople, le cri de Moscou. C’est le cri de toute la chrétienté des Amériques, de l’Asie, de tous. C’est le cri de la nouvelle évangélisation » (Jean Paul II, Lettre Apostolique Orientale lumen, 3).

On est invité à faire un voyage passionnant dans les images, très précises et cohérentes si elles sont lues dans son ensemble, des trois figures symboliques qui expriment la tragédie d’Œdipe, la libération divine proposée par Moïse et la culmination accomplie dans le Christ : la Sphinge d’Œdipe, le Buisson ardent de Moïse et la Croix du Messie. Cette dernière résume les deux premières et leur donne un sens de l’intérieur : la question de l’homme repose finalement sur le lieu de supplice d’un Souffrant aux pieds transpercés et le front déchiré par la couronne d’épines, signe et en même temps rédemption de l’ancienne malédiction de la terre ; le trône d’un Roi blessé d’amour dont un sombre souverain de ce monde, quelqu’un qui doutait de la vérité (cf. Jn 18, 38), même s’il avait devant ses yeux la Vérité en Personne, a dit au monde entier: Ecce homo ! (Jn 19, 5). Paradoxalement, il a proclamé à son insu la plus haute vérité en la montrant à la vue de toutes les générations humaines. Voici l’Homme : cet Innocent, Il est la Vérité.

En ces trois symboles, un message d’espérance est offert à notre culture, en indiquant, sans regarder le politiquement correct, mais avec un grand respect pour la vérité de l’homme, les racines de la crise anthropologique que nous vivons : la confusion qui affecte la sexualité humaine indique le déséquilibre de la relation de l’homme avec Dieu : « Lorsque une société veut couper l’homme de sa transcendance, elle n’a pas besoin de s’attaquer aux grands édifices des églises et des religions, il lui suffit de dégrader la relation entre l’homme et la femme » (Chr. Singer, Du bon usage des crises, Albin Michel, 2001, p. 57). Dans la culture de l’homosexualité la transcendance de l’altérité est niée, et à la racine se trouve la situation d’une rationalité autoréférentielle qui a perdu l’équilibre entre le ciel et la terre, entre la dimension horizontale et la dimension verticale. C’est là le malheur œdipien, le contact manqué de ses pieds avec la terre, qui est la réalité réelle. Mais les pieds transpercés d’Œdipe trouvent un écho, à des siècles de distance, dans les pieds d’un Crucifié sur la croix. En effet, il semble que toute l’histoire de la passion du Messie réponde merveilleusement à l’énigme posée par Œdipe, pour lui indiquer le mal dont les seules forces humaines sont incapables de le faire sortir, en lui offrant la voie de la rédemption. Au milieu de ce dialogue anthropologique entre Dieu et l’homme à des siècles de distance, la figure de Moïse marque le début de la guérison, le travail pour une nouvelle humanité. L’auteur du livre relève patiemment les traits qui unissent les trois figures, invitant le lecteur à une lecture qui le surprendra, découvrant avec admiration le sens et la cohérence de la révélation mise en dialogue avec la culture humaine. Surpris aussi par l’immense valeur de cette créature faible et fragile, vouée à la souffrance et à la mort, et par l’intérêt qu’il y a à passer toute sa vie à sonder son mystère, Dostoïevski écrivait dans sa jeunesse : « L’homme est un mystère. Il faut percer ce mystère à jour, et si on emploie toute sa vie à cela qu’on ne dise pas qu’on a perdu son temps ; je me penche sur ce mystère car je veux être un homme » (Lettre du 16 août 1839 à Mikhaïl Dostoïevski, son frère). Dans les dernières années de sa vie, il a écrit : « Tout en restant pleinement réaliste trouver l’homme dans l’homme… On m’appelle psychologue, c’est faux, je suis seulement un réaliste au sens le plus élevé, c’est-à-dire je peins toutes les profondeurs de l’âme humaine »[2]. Cette tâche, celle de trouver l’homme dans l’homme, est au cœur de l’aventure que nous propose ce livre. Comment peuvent s’éclairer réciproquement les trois langages, celui du mythe, celui de la figure mosaïque et celui qui est propre à la révélation chrétienne, pour sonder en profondeur la situation anthropologique et théologique dans laquelle nous vivons dans les temps difficiles que nous devons traverser et illuminer dans l’espérance, nous plaçant sur la Colonne et le fondement de la vérité ? (1 Tim 3, 15). Jean-François Froger propose la méditation de ces trois symboles puissants pour « peindre la profondeur de l’âme humaine », une âme virginale, foncièrement mariale, comme on apprend dans la contemplation patristique autour de la figure de Moïse, présente aussi dans ce livre.

Grégoire de Nysse, en effet, en commentant l’épisode du Buisson Ardent, explique : « Ce passage nous enseigne également le mystère de l’enfantement virginal, le feu de la divinité qui, en naissant, a illuminé le monde, a laissé intact le buisson dont il émanait et l’enfantement n’a pas flétri la fleur de la virginité de Marie. Le premier enseignement que nous donne cette lumière, c’est de nous apprendre ce que nous devons faire pour nous tenir sous les rayons de la vérité : et c’est qu’il n’est pas possible à des pieds chaussés de courir vers la hauteur où la lumière de la vérité apparaît, mais qu’il faut dépouiller les pieds de l’âme du revêtement des peaux mortes dont notre nature a été revêtue aux origines lorsque nous fûmes mis à nu pour avoir désobéi au commandement divin. Quand nous aurons fait cela, la connaissance de la vérité se manifestera d’elle-même. En effet la connaissance de ce qui est résulte de la purification de l’opinion qui porte sur ce qui n’est pas. C’est, à mon avis, la définition de la vérité d’être une saisie certaine de l’être ; l’erreur, elle, est une illusion qui se produit dans l’esprit et qui donne l’apparence d’exister à ce qui n’est pas ; la vérité au contraire est la ferme appréhension de ce qui est. Or il faut de longues périodes de temps passées dans le recueillement à méditer ces hautes questions, pour parvenir à saisir péniblement ce qu’est vraiment l’être qui possède l’existence par nature et ce qu’est le non-être qui a seulement l’apparence d’exister, mais qui n’a de lui-même aucune réalité » (Grégoire de Nysse, Contemplation sur la vie de Moïse, ou traité de la perfection en matière de vertu, Sources Chrétiennes 1, Paris, 1942, 59-61).

La figure de Moïse invite à un nouvel exode de la pensée, aux risques de la foi et de l’inspiration, pour arriver à une contemplation toujours nouvelle et jaillissante de Jésus, Verbe de Dieu, nous guérissant de la blessure œdipienne avec sa naissance, sa mort et sa résurrection, surtout, et de quelle façon ! avec sa résurrection. Dans ce chemin d’Œdipe à Jésus s’est inscrit tout le programme d’une nouvelle théologie spirituelle à même de lire les mystères de la vie de Jésus, de sa naissance virginale à son ascension, comme révélation et accomplissement du mystère de l’homme.

Jean-François Froger nous offre dans son parcours un chemin de liberté, un vrai Jardin d’Humanité pour travailler à l’espérance du monde. Avec l’audace de la foi, il faudrait semer des arbres de vie dans les carrefours de notre culture, pour purifier l’atmosphère étouffante qui tue l’innocence des jeunes et fait vieillir les enfants, rendant irrespirable l’existence de l’homme. On pourrait, sous l’inspiration des réflexions de ce beau livre, fonder des lieux ecclésiaux autour du Buisson Ardent de la Nouvelle Alliance, Marie, terre vierge, où les épines du péché ont disparu pour libérer l’espace inexploré de la virginité de l’âme et la raison humaine est appelée à l’aventure d’une nouvelle innocence, de merveille en merveille, sur la route qui traverse le désert de la Parole divine de Moïse à Jésus. Ce seraient des lieux d’étude et d’adoration où l’homme œdipien de notre post-modernité blessé aux pieds, tombé sans équilibre dans la violence d’une rationalité qui a peur de la vie, perdu dans le désespoir de ses pas fugitifs, victime de tant de sphinx-sphynges ambigus et trompeurs qui lui promettent le pouvoir s’il renonce à la souffrance de son propre mystère, puisse trouver la voix qui l’appelle de son nom personnel pour sortir à la conquête d’une complète guérison de sa mentalité profonde en suivant la marche évangélique du nouvel Homme et de la nouvelle Femme. Sur ses traces, le cœur humain pourra poursuivre le chemin qui mène à la terre promise du vrai culte du Dieu vivant et, dans l’équilibre retrouvé, marcher avec le bâton de la Croix vers le mont de l’Ascension, vers l’accomplissement de l’humanité dans la joie de la vraie liberté. Des lieux eucharistiques de guérison spirituelle et culturelle, des maisons de Marie Buisson ardent où le sein qui conçoit virginalement l’humanité du Fils devient l’espace d’une reconception sans tache de tout homme devenu fils, le signe sacramentel de la vraie conception de l’homme, le laboratoire anthropologique pour la résurrection de l’humanité dans l’homme. C’est pour toi, doux lecteur, que ce livre crie dans le désert : ne vends pas le trésor enfermé dans ta douleur pour payer un bonheur éphémère ! N’ai pas peur des obscurités du présent, car les plaies de l’histoire révèlent finalement leur mystère de grâce douloureuse : elles sont les blessures de l’amour, le prix de l’enfance retrouvée au bout du chemin, car le commencement est à la fin !

Père Francisco José López Sáez, Professeur d’ecclésiologie au Grand Séminaire de Ciudad Real et de liturgie et spiritualité des Églises de l’Orient à l’Université San Dámaso de Madrid


[1] Cf. J.-M. Le Guillou, Le mystère du Père. Foi des Apôtres. Gnoses actuelles, Libraire Arthème Fayard, Paris 1973.

[2] F.M. Dostoïevski, Œuvres complètes, Saint-Pétersbourg, 1882-1883, T. I, p. 373.

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