Préface : Du combat Spirituel

Préface du Père Francisco José López Sáez

Plus les temps sont difficiles, plus on doit être attentif aux cadeaux de la grâce. Ce livre en est un. Il approfondit la thématique des dernières études bibliques de l’auteur – Le livre de la Création – Commentaires à propos des trois premiers chapitres de la Genèse, et Le livre de la nature humaine – ou la révélation de Jésus Grand-Prêtre dans l’épître aux Hébreux – et on pourrait même dire qu’il en constitue la source, dans la mesure où une réflexion théologique féconde, comme celle développée dans les gros livres, ne peut jaillir que d’une profonde prière et de l’écoute attentive de la Parole de Dieu.
Parole écoutée et offerte en nourriture dans trois retraites à la scansion de trois années successives, le but de cet effort commun de proposition et de réception priante, pour l’accroissement dans la foi d’un tout petit groupe de participants, vise cependant l’Église tout entière et même tout cœur humain en quête de sens et de discernement. En effet, une parole orale prononcée de cœur à cœur dans le secret d’une retraite de prière est déjà, par elle-même, une parole énoncée face à l’humanité tout entière. « Ce que je vous dis dans l’obscurité, dites-le en plein jour ; et ce qui vous est dit à l’oreille, prêchez-le sur les toits. » (Mt 10, 27) Cette parole maintenant publiée est née du dialogue de la foi et de la célébration du mystère. Elle émane donc du fonds spirituel de l’Église, comme les anciennes Collationes des maîtres spirituels ou les homélies des Pères, où nos sages anciens donnaient aux catéchumènes, pour la formation de la mentalité chrétienne et le redressement du cœur de l’homme, l’intégrité de l’enseignement, en le dégageant d’une longue chaîne de citations bibliques, pour en communiquer le goût et semer la Parole, pleine déjà, dans une joyeuse espérance, de ses fruits de vie nouvelle. Ce livre vise ainsi la reconstruction des fondements spirituels du présent et
du futur, en proposant le chemin qui mène du combat spirituel à la déification.

Nous sommes dans une culture de la « déconstruction », sans que l’on construise pourtant en retour sur des fondements solides. Si la vérité de l’homme est sa vie spirituelle intérieurement renouvelée par la réception de l’Esprit du Ressuscité, c’est-à-dire la reconstitution de l’intégrité de ses dimensions physiques, psychiques et spirituelles autour de l’unique Grand-Prêtre de la nature humaine, on peut affirmer qu’il n’y a d’autre fondement pour l’appropriation consciente de notre vérité humaine que la compréhension de notre corps de résurrection. La résurrection est donc la clé de notre vie spirituelle, et c’est elle qui déclenche le bon combat de notre
intelligence, corps, coeur et âme pour la vérité et la justice.

On ne peut sortir de l’effondrement profond de notre monde, qui menace aussi le cœur de l’Église, qu’avec une nouvelle effusion de lumière et de joie (c’est la conviction qui a poussé l’auteur de ces entretiens à donner au grand public ces paroles denses et parfois exigeantes, mais toujours fécondes), en poursuivant la méthode de la « nouvelle évangélisation » de notre Seigneur lui-même. Il couronna son œuvre évangélisatrice en ouvrant sur le chemin d’Emmaüs l’intelligence des disciples, effrayés par le scandale de la croix, à la compréhension des Écritures. C’est le même Jésus Ressuscité, vrai Dieu et vrai homme, qui, dans le miroir de ses souffrances éclairées par sa résurrection, tissa le fil rouge dont nous avons besoin pour assimiler dans la foi la cohérence de toutes les Paroles prophétiques, et pour guérir en même temps le cœur blessé de notre existence humaine tombée dans le péché, aveuglée dans l’autoréférence narcissique et vouée finalement au désespoir.

La conversion du cœur doit être, donc, éclairée par la conversion de l’intelligence.
Ces retraites proposent la régénération, intellectuelle et cordiale, du christianisme en nous, parce que l’Église ne peut renaître à notre époque que dans le cœur de chaque chrétien, même s’il est perdu au fond des déserts de nos cités babéliques, voué à la solitude ou à l’incompréhension. Il faut du combat pour renouveler en acte l’intelligence et ouvrir l’esprit à l’irruption du monde venant, en nettoyant le cœur de toutes les idées fausses que nous avons reçues et assimilées. Après l’effort pour déraciner, viendra comme la pluie sur la terre desséchée la joie de la reconstruction et le goût de la beauté de notre existence humaine appelée à la déification.

Dans les trois parties de ce chemin proposé, nous sommes invités à méditer patiemment les mêmes thèmes, mais toujours à un nouveau degré d’approfondissement. À la suite de l’itinéraire de Moïse, présenté dans la partie centrale du livre, et qui a été déjà expliqué pour servir à notre propre combat par Grégoire de Nysse au IVe siècle, on pourrait déployer les trois parties de ces entretiens de la façon suivante :

La première partie nous propose une nouvelle sortie d’Égypte, le combat spirituel de l’exode pour nous libérer de toute idéologie et idolâtrie. Il faut surtout, et c’est une démarche inévitable, purifier nos idées sur Dieu « Tout-Autre », « Inconnaissable absolu », « abîme mystique ineffable », etc. L’acte de foi s’appuie sur la connaissance du Dieu créateur avec les forces de notre intelligence naturelle. Pour cette connaissance, dont la possibilité a été affirmée de façon inspirée par le concile Vatican I, même la philosophie peut être un piège ; il s’agit, non pas de construire avec notre intelligence les preuves de l’existence de Dieu, mais d’exercer la fonction symbolique des objets du monde, parole prototypique de Dieu, pour connaître dans les choses les archétypes créés et les intentions divines, dans une connaissance qui n’est pas simplement intellectuelle, mais déjà spirituelle, parce que fondée sur la contemplation du corps du Christ, dans lequel « habite corporellement la plénitude de la divinité » (Col 2, 9).
Tout ce que nous pouvons connaître de Dieu en tant que Dieu est pleinement inscrit dans les paroles et les gestes de Jésus, et ainsi nous pouvons comprendre pourquoi, « en réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné », comme nous indique Vatican II, Gaudium et spes 22. Le combat spirituel pour déraciner l’idolâtrie est un plaidoyer pour la réalité de la vie spirituelle, libre de toute illusion : il n’y a de vie spirituelle que comme une vie réelle et non pas imaginée. Et il n’y a de réalité que dans l’Esprit du Christ.

La deuxième partie est la plus mystique, elle nous offre le même combat spirituel, mais cette fois comme repos contemplatif dans la cime du mont Sinaï (rencontre avec Dieu dans le buisson, la nuée et la ténèbre) pour nous laisser transformer et requalifier intérieurement, à la suite de Moïse qui y reçut le modèle du Temple et de saint Jean de la Croix, qui médita sur les fruits pléniers de l’union de l’âme avec l’Esprit. Tous les deux sont, en effet, lus ensemble, comme en miroir, en une démarche qui va de la Vive flamme d’amour (« brise la toile de ce rencontre heureux ») du mystique espagnol à l’expérience du voilement et du dévoilement de la face de Moïse dans sa rencontre avec Dieu et sa divinisation pour la mission. On traite surtout de la mort d’amour, de la divinisation de l’âme de Jésus Grand-Prêtre sur la Croix, et finalement de la vie spirituelle de la nature humaine accomplie dans le Corps-Temple de Jésus comme déploiement liturgique, dans le Corps qui est l’Église, des quatre catégories de cette nature humaine : le féminin, le masculin, le sacerdotal et le grand-sacerdotal.

Les entretiens de la troisième partie nous invitent à suivre Moïse dans son chemin de descente, en pleine colère divine, de la cime du mont Sinaï. Descente douloureuse dans la vallée, où le peuple tenté d’oubli s’est mis à adorer le Veau d’Or, et nouveau combat après l’expérience émerveillée de la Face de Dieu. C’est le combat qui voit se briser les tables de la Loi pour retrouver le fil avec lequel on pourra sortir du plus terrible des labyrinthes, dont il nous faut absolument échapper avec toute l’urgence de l’évangile, et sans aucune complaisance ou compromis : le labyrinthe de la pire des idéologies, celle qui pourrait se couler, hélas !, dans le sein même du langage de l’Église. Parce qu’on pourrait substituer la révélation et sa compréhension de l’homme par une religion de la « transcendance », dans le fond une autocélébration de la sublimité de l’esprit humain, d’où dérivent toutes les impostures, apostasies, mésinterprétations, utilisations idéologiques du langage de la foi, canonisations d’affirmations presque-vraies qui sèment la confusion et perdent les cœurs qu’on devrait plutôt conquérir avec la vérité dénuée de tout préjugé et libre de tous les revêtements culturels à la mode. Pas seulement un culte au Veau d’Or, mais encore quelque chose de plus effroyable : c’est le culte païen du dieu Arès, patron de l’Aréopage, de la philosophie de la guerre universelle, qui ressuscite dans le modèle anthropologique du football, en se substituant au modèle du Temple de l’humanité ; guerre accomplie par un jeu sportif de confrontation homme-femme, dans une mentalité de fond homosexuel, sacrifice des jeunes vies en l’ honneur d’une humanité auto-divinisée qui ne cherche que la destruction du sacré dans la personne de l’autre. L’Église, cœur vivant d’une humanité menacée de mort spirituelle, ne doit-elle pas en toute humilité réfléchir sur sa propre responsabilité dans la crise contemporaine ? C’est l’invitation du Grand-Prêtre aux sept églises dans l’Apocalypse, livre du combat par excellence.
Peut-être n’y a-t-il qu’un seul moyen : se rendre nouvellement conscients, justement, de l’importance du Grand-Prêtre pour une re-conception vraie de la nature humaine, où la différence, encore insoupçonnée pour notre théologie, entre le prêtre et le Grand-Prêtre est la seule sauvegarde de l’intégrité de la vocation de l’homme et de la femme à l’intérieur de la nature humaine différenciée. C’est ici que se joue la réalisation de l’image et la ressemblance divines de l’Homme ; Homme appelé à sa divinisation comme Peuple de Dieu dans l’accès rituel-eucharistique à la Parole déifiante de Dieu en tant que Dieu.

Nous sommes, donc, invités à suivre dans ces entretiens l’enchaînement logique et analogique qui découle de la même révélation. Il y a un gros travail à faire pour s’approprier les cadeaux de la foi, dans la prière et dans l’intelligence. Nous devons, par fidélité à l’Église que nous sommes, combattre en nous-mêmes contre les idées fausses ou presque-vraies dont on a laissé faire la construction dans sa propre personne pendant toute une vie. Il faut se laisser re-concevoir à nouveau. Mais il n’y a de nouveauté que dans le vrai, le reste est prévisible, une infinie répétition des chaînons de la même idéologie. On ne peut trouver de la nouveauté que dans le vrai et dans le bon, qui nous découvrent la plus profonde beauté. Les fruits d’une série de retraites, comme celles que Jean-François Froger nous propose, ne commenceront à jaillir qu’après des années. Mais ce sera pour la joie du monde et le renouvellement de l’Église en attente de divinisation. Il faut bien, en effet, garder dans le cœur tout ce qu’on aura patiemment assimilé, pour comprendre tout au long de la vie et arriver au domaine de l’anagogie (au-delà de la spéculation de la philosophie et même de toute compréhension intellectuelle) : l’anagogie eucharistique d’une nature humaine restaurée dans le rituel offert par le Verbe de Dieu, par sa Croix et sa Résurrection. Et le chemin qui peut commencer en nous comme fruit de la méditation de ces retraites nous mènera, si Dieu le veut, jusqu’aux larmes et l’éblouissement du cœur, au seuil de l’anagogie et de la transformation intérieure, du combat spirituel à la déification.


P. Francisco José López Sáez
Professeur de théologie spirituelle
à l’Université pontificale de Comillas des jésuites de Madrid,
et de spiritualité et liturgie des Églises d’Orient
à l’Université ecclésiastique San Dámaso

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