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Les saints Anges : Recension par Marion Duvauchel

Les saints Anges, Huit sermons sur le monde céleste de saint Bonaventure
Traduits, présentés et annotés par Bernard Verten Éditions Grégoriennes
Recension : Marion Duvauchel

Dans nos paroisses désaffectées, les Anges ne sont plus que de vieilles légendes décoratives ou prétexte à montrer qu’on a encore un peu de culture chrétienne. Il n’y a que dans les mouvances new âge ou psychédéliques qu’on s’intéresse encore au monde angélique et il tient davantage de l’héroïque fantaisie que d’une droite théologie ou mieux, d’une angélologie un peu informée.
Il convient donc de saluer ce petit livre « salubre » qui présente de manière un peu détaillée huit « sermons sur le monde céleste », (ou si l’on préfère huit homélies sur les hiérarchies angéliques), du docteur subtil, saint Bonaventure. Huit sermons traduits du latin et commentés avec soin, précision et méthode.

L’auteur présente son affaire dans un prologue injustement qualifié « d’évocation hétéroclite et limitée ». Cette espèce d’introduction d’une appréciable concision, est originale dans sa présentation : c’est à l’issue d’une visite à Athènes, dans l’église des « Saints Incorporels » où l’auteur a eu le privilège de voir trois grandes icônes figurant les trois Archanges de la Tradition, qu’il s’est posé une question inédite et pourtant essentielle : pourquoi les Incorporels sont-ils représentés avec un corps ? Mais oui, pourquoi.
De ces Incorporels nous n’en connaissons que trois, que les orthodoxes appellent les « Taxiarques », les chefs des armées des cieux : Michel, Gabriel et Raphael. En réalité, « les anges sont partout » et les hommes sont guidés par ces « Incorporels » énigmatiques que dans l’un de ses sermons, Bonaventure nous engage vivement à connaître.
Ils ont toute notre attention, ces Incorporels…
Les Anges, en effet, ont le gouvernement de l’univers, et cet univers a été créé selon nombre, poids et mesure, harmonieusement donc. Les hiérarchies angéliques reflètent cet ordre, cette ordonnance douée de beauté. Les huit sermons de Bonaventure se distribuent en « sermons de tempore » et « sermons de diversis » (les « sermons des saints anges). Pour chacun d’eux, on trouve trois entrées : structures et commentaires ; la traduction ; la liste des citations bibliques dans l’ordre du texte. On n’est pas dans l’héroïque fantaisie. Les fonctions angéliques définies par Bonaventure sont illustrées systématiquement par une citation : de saint Paul, des psaumes ou de l’Ancien Testament.

La référence souveraine, c’est Denys l’Aréopagite : toute la hiérarchie céleste se réduit à trois ordres ; mais c’est aussi Isaïe qui nous dit que la cour intérieure du temple de Salomon est bâtie avec trois rangs de pierres polies : « voici que moi j’établirai tes fondations en rangées de saphirs ». Lucifer lui-même était couvert de toutes les pierres précieuses, la sardoine, la topaze, la jaspe…
Entre Denys et saint Grégoire (dit le Grand), on a une différence : les Principautés échangent leur place avec les Vertus, et donc leur rang. 
En réalité, l’attribution de ces citations fluctue et dépend largement de la façon dont le saint définit la fonction de chaque degré de la Hiérarchie. Ainsi, le sermon I des saints anges a pour référence le texte de l’échelle de Jacob (Gn, 28) : les Dominations commandent, les Vertus exécutent, les Puissances triomphent, les Principautés guident, les Archanges instruisent, les Anges soutiennent. Ailleurs, ce sont les Anges qui guident… Le saint fait varier les paramètres.
Le sermon V quant à lui ne traite pas seulement de la fonction des Anges mais de leur nature… Ils ne peuvent s’opposer à Dieu, ils ne peuvent vouloir contre Sa volonté. Jésus non plus, on s’en souvient, même dans les moments terribles où pourtant, Il eût aimé… Ils sont à Dieu parce que Dieu les a créés, mais aussi par infusion de la Grâce. C’est pourquoi il existe des grâces qui élèvent et des grâces qui relient les deux ordres de la hiérarchie : les célestes et les hiérarchies ecclésiastiques. Et il existe par conséquent des grâces qui font descendre. L’événement biblique sous-tendu, c’est encore une fois la vision de Jacob (Gn, 28) d’une échelle le long de laquelle des anges montent et descendent. C’est aussi la vision prophétique de saint Étienne, au moment de son martyr, quand il voit le ciel ouvert.

C’est ainsi que nous entrevoyons comment la Hiérarchie angélique reçoit la lumière divine, la transmet de chœur en chœur, jusqu’à la Hiérarchie ecclésiastique, reflet terrestre du monde spirituel, (ce que seules, osons le dire ici, les liturgies orthodoxes reflètent encore). Quant au mouvement ascendant, c’est celui par lequel l’homme est guidé par les Anges vers Dieu. L’iconographie ne s’y est pas trompée lorsqu’elle montre la Vierge soulevée par des anges lors de son assomption.
Jacob nous rappelle qu’avant de voir le ciel ouvert, la rencontre avec l’Ange peut faire l’objet d’un combat. Il en garde une hanche déboîtée. « Voici le camp de Dieu » s’écrit-il en voyant les Anges de Dieu venir à sa rencontre.
Les Anges, c’est une armée, une véritable armée, une armée de soldats innombrables. Comme toute armée, elle est solidement organisée. Cet ordre n’est pas un ordre inamovible, tout dépend de l’angle, de la perspective, voire de la hiérarchie appréhendée. Cela fait déjà une solide combinatoire. Il y fallait donc un peu de technicité. Ce livre est un excellent instrument de travail en même temps qu’une fort commode introduction à cette chose oubliée qu’on appelle « l’angélologie. »