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Les marchands du Temple

Homélie du Fr. Jean-Sébastien, ocd
Dimanche 3 mars 2024
3e dimanche de Carême – Année B

Jn 2, 13-25

Comme la Pâque juive était proche, Jésus monta à Jérusalem. Dans le Temple, il trouva installés les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs, et dit aux marchands de colombes : « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. » Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit : L’amour de ta maison fera mon tourment. Des Juifs l’interpellèrent : « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? » Jésus leur répondit : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. » Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèverais ! » Mais lui parlait du sanctuaire de son corps. Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite. Pendant qu’il était à Jérusalem pour la fête de la Pâque, beaucoup crurent en son nom, à la vue des signes qu’il accomplissait. Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous et n’avait besoin d’aucun témoignage sur l’homme ; lui-même, en effet, connaissait ce qu’il y a dans l’homme.

En ce 3e dimanche de carême, la liturgie nous offre un passage de l’évangile selon saint Jean très énergique. C’est ce passage de l’évangile qui a été pour moi l’adhésion complète de mon intelligence en Jésus vrai Dieu et vrai homme, trente ans auparavant, et je ne cesse de rendre grâce. Pourquoi, la douceur de Jésus s’exprime avec autant de force ? Jésus exerce la vertu de force pour provoquer un changement : « Cessez de faire de la maison de mon père une maison de commerce. ». L’enjeu est de taille : c’est la « mort du Dieu » de Vie qui a pour conséquence inéluctable la mort de l’homme. Ce geste et les paroles, à la fois concrets et spirituels, constituent un signe prophétique. Nous voyons aisément le geste mais bien difficilement le signe prophétique ! Aussi que l’attitude de Jésus ne nous fasse pas oublier que le Temple en lui-même est aussi un signe prophétique et que les sacrifices opérés dans ce Temple sont aussi des signes prophétiques.

Pourquoi les judéens falsifiaient la fonction du Temple selon le modèle révélé à Moïse par Dieu sur le Sinaï (Ex 25, 9) et sa réalisation matérielle avec Salomon (1 R 6-7 // 2 Ch 3-4). Qu’est-ce que révèle le Temple ? Le Temple révèle la structure de la nature humaine, en même temps qu’il révèle le mystère de la présence de la divinité (Ex 25, 8) et la donation du modèle du Temple au Peuple par la médiation de Moïse est une pré-incarnation du Verbe. Le Temple est destiné à réapprendre à l’homme déchu la présence divine, dont il était exclu depuis la sortie de l’Éden, dans sa chute originelle. En définitive, le Temple est une figure de l’habitation de Dieu parmi les hommes (1 R 8, 10-13). L’homme doit se découvrir capable de parler à Dieu et pas à n’importe quelle divinité, c’est celui du Mont Sinaï (יהוה)[1]. Pour que l’homme prenne conscience de cette capacité perdue, il lui faut contempler et agir liturgiquement dans la structure du Temple.

Le Temple révèle dans sa liturgie la structure de la nature humaine. Le Temple a une structure visible dans son architecture. La nature humaine y est décrite par cette structure architecturale, nous avons le {parvis des femmes, parvis des hommes, Saint, Saint des saints} ou bien, dans un langage équivalent, en nommant les lieux par leurs fonctions, nous avons le {féminin, masculin, sacerdotal, grand sacerdotal}. Le Peuple de l’Alliance, constitué par la circoncision, entre dans le Temple par la porte du parvis des femmes. Ensuite les hommes, les prêtres et le grand prêtre peuvent franchir la porte de Nicanor, entre le parvis des femmes et le parvis d’Israël, et les hommes y demeurent. Les prêtres et le grand prêtre passent auprès de l’autel où ils devront faire des sacrifices et ils entrent dans le sanctuaire, le Saint, par le vestibule. Les prêtres y pratiquent leur service (la liturgie quotidienne). Enfin, le grand prêtre pénètre seul dans le Saint des saints en passant derrière le voile séparant le Saint du Saint des Saints. Si donc le Temple est la maison de Dieu, il révèle l’acte de gouvernement divin qui est d’organiser la nature humaine en quatre catégories, distinctes concomitantes, non-vides.

Le Temple révèle un mystère de la divinité, la seule et unique. Comme nous l’avons dit, le Temple institué par révélation est en quelque sorte un rituel opéré par Dieu même ; en cela, il révèle quelque chose de la divinité : si elle s’adresse à l’homme par un rituel, c’est pour lui proposer de répondre à une parole, réponse d’une intelligence à l’intelligence divine. Dieu se révèle comme Parole dans la dynamique liturgique du Temple. Aussi sa structure visible enseigne les conditions de la parole pour l’homme. On ne peut connaître la divinité que dans son acte de création ou dans un acte de gouvernement. Aussi la structure du Temple révèle la présence active de la divinité dans la révélation qu’il existe une hiérarchie humaine (hiérarchie dans son sens étymologique hiéros saint sacré et archen le commandement ou bien le principe : ordre sacré), c’est-à-dire un ordre interne immuable et sacré parce que résultant de la condition d’existence de la nature humaine. D’où, l’importance primordiale de la liturgie où les catégories de la nature humaine sont révélées et mises en évidence. Il en résulte que détruire la hiérarchie de la nature humaine, ce serait détruire la connaissance de la divinité rendue possible à travers elle, dans et par la liturgie.

Le Temple est une figure de l’habitation de Dieu parmi les hommes, c’est pourquoi Jésus identifiera son corps au Temple, ce qui ne se comprend évidemment qu’après la résurrection, mais à condition d’entrevoir aussi que le Temple figure la nature humaine créée par Dieu. Rappelons-nous, Jésus l’annonce clairement pendant son interrogatoire chez Caïphe. Au nom de quelle inculpation Jésus est-il condamné ? Sur l’annonce de la destruction du Temple ! C’est ce que la majorité du Sanhédrin entend comme blasphème et justifie à leurs yeux sa condamnation à mort. Nous l’entendrons dans quelques semaines. Et le geste et les paroles prophétiques de Jésus de ce jour, nous sont très utiles, même après les événements, pour que nous ayons la possibilité de les comprendre. Jésus affirme lors même de son procès qu’il est le Messie réalisant la prophétie de Daniel (Dn 7, 13-14) mais aussi le Seigneur siégeant à la droite de la divinité recevant domination, gloire et royauté sur toutes les nations. Il est donc le « concurrent » immédiat du grand Prêtre en activité.

Voyons maintenant en quoi il y a une falsification et en quoi le seul remède à cette falsification, c’est la destruction du Temple. Le cœur du rituel dans la liturgie du Temple est le sacrifice. On y sacrifie très concrètement des bœufs, des agneaux et des tourterelles mais ces sacrifices doivent ritualiser l’offrande de la vie dans un acte de réciprocité avec la divinité créatrice et donatrice de la vie. Acheter les animaux et les offrir, c’est bien donner quelque chose de soi et par conséquent de soi-même. L’argent de l’achat est un simple instrument d’échange. Acheter les animaux et les offrir par la main des prêtres préposés à cette tâche (le cohen est un sacrificateur), c’est obéir à un ordre divin. Tout le service liturgique (avodah עבודה) du Temple est ordonné par Dieu. Comment l’argent peut-il devenir une divinité au point que Jésus puisse dire de ne pas échanger la maison de son père avec une maison de commerce ? Comment l’instrument peut-il devenir le maître ? C’est que les sacrifices opérés ne sont plus destinés pour rendre un culte, mais cela sert de manière insidieuse et détournée, à remplir le trésor du Temple. Le Grand Prêtre n’exerce plus sa fonction liturgique de la présence divine dans le peuple mais devient le législateur temporel du Temple auquel on lui donne un impôt. Cela est très subtil mais très dangereux car cela réduit l’homme dans la servitude de la chute originelle.

Ainsi pour que vous ne transformiez plus la maison de mon Père en maison de commerce, « détruisez ce sanctuaire, – fait de main d’homme -, et en trois jours je le relèverai ». Il ne s’agit bien évidemment pas de l’événement historique provoqué par la révolte judéenne s’achevant par le siège de Jérusalem et la destruction du Temple par les Romains. Il s’agit ici de la réalisation du signe et des paroles prophétiques de Jésus. Si Jésus propose une destruction, c’est pour rendre immédiatement possible une reconstruction. Cependant, il y aura une destruction nécessaire de ce que signifie le Temple pour que sa reconstruction n’en soit pas simplement la restauration mais l’instauration dans son sens divin. Il est nécessaire de penser que la destruction n’a de sens qu’à cause d’une malfaçon ou d’une déficience antérieure. Hypothèse évidemment insoutenable ni même pensable pour les membres du Sanhédrin, c’est ce que nous commémorons dans les textes du vendredi saint.

L’opération est également impensable pour les disciples de Jésus lorsqu’il l’annonce mais ils s’en souvinrent après son relèvement d’entre les morts. Il fallait en effet que l’âme de Jésus fût séparée de son corps pour que le corps puisse « se relever d’entre les morts » et qu’ainsi transformé, il puisse siéger à la droite du Père, avec son âme humaine déifiée. Dieu n’a pas voulu opérer le sauvetage de l’humanité, comme d’une épave : Il a voulu susciter en elle une vie, sa propre Vie qui est déjà en nous en germe. Dieu, le Dieu unique créateur, est évidemment le créateur de l’homme. L’homme Jésus réalise parfaitement ce qu’il dit et ce qu’il enseigne ; il en résulte que nous pouvons voir dans la scène des marchands du Temple un acte réalisant dans ce monde-ci l’exacte volonté de la sainte Trinité faisant advenir son Règne et sanctifiant parfaitement son Nom (יהוה).

La destruction du Temple est d’abord la mort corporelle de Jésus sur le Golgotha et sa reconstruction est la résurrection et l’ascension de ce corps vivant en la sainte Trinité. Son sacrifice d’oblation consiste à pouvoir ramener de la mort des hommes que la mort avait engloutis. C’est donc la résurrection qui rend Jésus capable d’être « reconnu et nommé » grand prêtre c’est-à-dire un vrai homme (He 5, 7) sans péché qui assume pleinement la nature humaine et la nature divine (He 7, 25-27) et c’est bien la résurrection qui rend les disciples capables de comprendre les Écritures et la parole de Jésus dans un même et unique acte de foi (Jn 17, 2).

Jésus reconstruit le Temple par son corps de chair ressuscité parce que cette fois-ci le Temple est la véritable incarnation du Verbe. Comment voir cette nature humaine restaurée parfaite comme elle l’était au « moment » de la Création ? En observant le Temple destiné à la révéler, avec le grand prêtre qu’il fallait, non avec sa représentation déficiente. En Jésus ressuscité, on voit alors la nature humaine parfaite.

Rappelons-nous, le Temple, c’est le lieu de la présence divine où l’homme doit sacrifier. Avant la destruction, on offrait des animaux, nous aussi aujourd’hui nous faisons un sacrifice, nous offrons le pain et le vin, qui deviennent le corps et le sang du Christ pour que nous nous en nourrissions. En effet, le Christ Jésus, vrai Dieu et vrai homme, le véritable Grand Prêtre, veut que nous soyons là où Il est.

Amen[2].

Fr. Jean-Sébastien de Notre-Dame du Sacré-Cœur (Pissot), ocd


[1] Le Tétragramme יהוה est formé des lettres hébraïques Yod (י), He (ה), Vav (ו), et He (ה).

[2] Homélie s’inspire très largement des livres de Jean-François Froger : « Le Livre de la Nature humaine », Éditions Grégoriennes, 2019, p. 209- 226 ; « La couronne du Grand-Prêtre », Éditions Grégoriennes, 2021, p. 431-444 ; « Chemins de connaissance » (avec la collaboration de Dr Michel-Gabriel Mouret) Editions DésIris, 1990, p. 41-52 ; « D’or et de Miel », Editions DésIris, 1986, p. 69-74.

Moïse et Œdipe

Dans cette série de 10 émissions, diffusées en 2018, 2019, Jean-François nous parle du mythe bien connu d’Œdipe. Bien connu, vraiment ? Vous serez surpris de ce que vous allez entendre, et surtout de comprendre que la vie de Moïse est tout aussi symbolique et « mythique », c’est à dire ayant un sens caché.

Le prochain livre de Jean-François est précisément sur le sujet abordé dans ces émissions. Cliquez ici pour accéder à la page de ce livre.

1 – Moïse et Œdipe
2 – Moïse et Œdipe
3 – Moïse et Œdipe
4 – Moïse et Œdipe
5 – Moïse et Œdipe
6 – Moïse et Œdipe
7 – Moïse et Œdipe
8 – Moïse et Œdipe
9 – Moïse et Œdipe
10 – Moïse et Œdipe

La structure cachée du réel

L’ouvrage est le résultat d’un travail de recherche de neuf années concernant les liens structurels entre la métaphysique, la physique et la théologie chrétienne. Il met en évidence l’existence d’une structure universelle. L’encyclique « Fides et Ratio » du pape Jean-Paul II a lancé un grand défi à la pensée contemporaine en disant que la foi éclaire la raison et que la raison conforte la foi. Nous relevons ce défi et c’est la première fois dans l’histoire des sciences et de la théologie que la description de la réalité physique se déduit de la métaphysique et que la même métaphysique permet d’exprimer rationnellement les grands dogmes qui structurent la foi chrétienne : Trinité, Création, Incarnation. Pour aboutir à cette unification épistémologique, il a fallu concevoir une nouvelle métaphysique, celle de la « Relation » assortie d’une logique quaternaire, à la place de la métaphysique de la « Substance » et de la logique binaire héritées d’Aristote.

Il en résulte un nouveau paradigme dont l’ouvrage donne les fondements et montre l’efficacité jusque dans les aspects techniques de la physique des particules et des atomes. Les concepts de la physique prennent un sens inattendu et même la notion de vie apparaît sous un jour nouveau propre à éclairer aussi bien la théologie que la biologie. Ces résultats étonnants viennent de la puissance du modèle métaphysique quaternaire qui rend possible ce que les modèles connus jusqu’à présent excluaient comme impensable.

L’arbre des archétypes

Les lettres de l’alphabet hébreu comme figures et nombres

L’arbre des archétypes montre la signification des lettres de l’alphabet hébreu, qui semble être un système de signes conduisant à une connaissance profonde de l’anthropologie, étudié ici à travers le psaume alphabétique 145.

Ces lettres ont été créées, avant leur écriture carrée venant de Babylonie, à partir de l’idée hiéroglyphique importée d’Égypte : chaque lettre-syllabe désigne d’abord un objet et cet objet représente analogiquement une idée.

Les lettres se suivent dans l’alphabet selon un ordre invariable qui permet de compter mais qui dévoile aussi un enseignement sur les représentations archétypales dont nous nous servons pour penser le monde.


L’arrangement parfois étrange des « images archétypales » qu’on trouve dans la Bible témoigne de son origine « révélée ».

La figure de la Ménorah, arbre portant la lumière à partir des lettres, prend tout son sens lorsqu’on voit que les lettres sont organisées selon un ordre numérique très précis.

Jean-François Froger explore l’anthropologie biblique depuis une quarantaine d’années.

Bernadette Main, artiste plasticienne, a réalisé une œuvre originale pour cet ouvrage.

Jean-François Froger, parfois avec un co-auteur, produit des essais anthropologiques et théologiques montrant le renouvellement possible d’une pensée reconnaissant sa source d’inspiration.

Saint Joseph

Image du Père

Jusqu’à la fin du Moyen Âge, saint Joseph n’était honoré d’aucune fête spécifique, d’aucun culte particulier ni de dévotion publique connue. Pourtant, il reçut de Dieu une mission exceptionnelle : être l’époux de la Vierge Marie en gardant la vertu de chasteté et devenir par là même le père adoptif de celui qui devait se révéler le Messie, Fils de Dieu, Jésus.
Or, dans toute famille humaine, le père tient ultimement sa paternité de Dieu qui se fait connaître comme « Père ».
L’Église est un Corps institué par le Christ où la doctrine et les dévotions s’explicitent au fil des siècles. Au début de l’époque moderne, saint Joseph sort de l’effacement où il semble avoir été tenu par la dévotion, malgré son rôle d’époux et de père, souligné dans les Évangiles, et reçoit alors l’hommage d’un culte spécifique. L’Église propose à l’attention des fidèles le saint qui, par excellence, montre une paternité reçue de Dieu.

Saint Joseph est aussi l’aboutissement de toute une lignée généalogique, révélatrice de cette véritable paternité, issue de l’Ancien Testament à travers le patriarche Jacob, son fils Joseph mais aussi d’une lignée de « figures » comme Moïse et David. Par ailleurs, l’Église propose la méditation sur plusieurs autres vertus du saint : modèle des travailleurs, patron de la bonne mort, patron de l’Église universelle, etc.
Rôles et vertus admirablement illustrés par des artistes qui ont mis leur art au service de la foi et qui ont ainsi largement contribué à faire connaître et aimer saint Joseph.

L’iconographie exceptionnelle de Jean-Paul Dumontier complète les approches historiques de Jean-Michel Sanchez, docteur en histoire de l’art et spécialiste de l’art sacré, et la contribution anthropologique que Jean-François Froger apporte en relisant les textes de l’Écriture Sainte concernant la différence féminin-masculin, révélatrice de la spécificité humaine de la « paternité » dans l’union en « une seule chair ».

Jean-François Froger, parfois avec un co-auteur, produit des essais anthropologiques et théologiques montrant le renouvellement possible d’une pensée reconnaissant sa source d’inspiration.

Sainte Marie Madeleine

Apôtre des apôtres

Le personnage de Marie-Madeleine a intéressé et fait rêver beaucoup de théologiens, d’écrivains, de poètes et surtout d’artistes peintres. Il existe une abondante bibliographie et une surabondance de représentations picturales.
Marie-Madeleine reste pourtant un personnage à la fois connu et méconnu : certains exégètes n’ont-ils pas distingué trois femmes où les auteurs de cet ouvrage n’en voient qu’une ? La divergence d’interprétation s’explique facilement : soit on utilise une critique textuelle externe en posant a priori la distinction – et aucune preuve historico-critique ne peut en effet établir l’unité des personnages ainsi distingués à cause de la disparité des textes des évangiles ; soit on essaye de comprendre la signification des textes et on découvre, par critique interne, qu’ils ne deviennent intelligibles qu’avec l’unité d’une seule personne, Marie de Béthanie.

Cet ouvrage suit cette voie, corroborée par l’opinion de plusieurs Pères de l’Église (comme saint Grégoire le Grand) et par l’œuvre de Maria Valtorta, dont il n’est pas fait usage dans l’exégèse des textes, laissant à cette œuvre sa valeur de « révélation privée » mais en en montrant, sur ce point, la vraisemblance.
Pour l’histoire de Marie-Madeleine en son exil de Provence, la méthode historique classique est évidemment suivie.
Cet ouvrage comporte donc deux parties : la première explique les implications théologiques et anthropologiques de la Révélation ; la seconde développe les fruits historiques de la présence de Marie-Madeleine en Provence, l’enracinement du christianisme en cette belle « province » romaine et la dévotion à Marie-Madeleine – « la femme la plus importante de l’Évangile après la Vierge Marie » – qui n’a cessé de grandir au fil des siècles.

Jean-François Froger a publié une dizaine d’ouvrages développant une anthropologie rationnelle cohérente avec la révélation biblique, dont une étude approfondie du monde des archétypes. Ces études épistémologiques ont contribué à l’élaboration d’une nouvelle théorie de la physique fondée sur la logique quaternaire.

Jean-Michel Sanchez est docteur en histoire de l’art, spécialiste de l’art sacré, enseignant et conférencier, membre du Centre international d’études sur le Linceul de Turin. Ses recherches portent sur l’architecture et la décoration des églises françaises, italiennes et espagnoles. Il a publié de nombreux articles et divers ouvrages, dont Reliques et reliquaires aux mêmes éditions.

En quarante ans de pratique, Jean-Paul Dumontier s’est spécialisé dans la photographie de l’art religieux dans les églises de France, mettant en valeur avec une rare maîtrise des sujets souvent inconnus ou difficiles d’accès.

Les différentes approches des auteurs font toute la richesse anthropologique, historique et iconographique de cet ouvrage, où le lecteur découvrira les raisons pour lesquelles sainte Marie-Madeleine a été choisie pour être l’« Apôtre des apôtres », dans la révélation des mystères de la Résurrection.

Jean-François Froger, parfois avec un co-auteur, produit des essais anthropologiques et théologiques montrant le renouvellement possible d’une pensée reconnaissant sa source d’inspiration.

Moïse et Œdipe

Ubi spiritus ibi libertas

Une nouvelle approche anthropologique du mythe d’Œdipe et de la vie de Moïse.

Qui n’a pas entendu parler d’Œdipe ou de Moïse ? Chacun garde le souvenir du « complexe d’Œdipe » mis en lumière par Sigmund Freud, mais qui connaît l’itinéraire du personnage dans le mythe grec, de sa conception à sa naissance puis sa mort ?

Chacun connaît Moïse comme celui qui a reçu les Tables de la Loi sur le mont Sinaï, mais qui connaît l’inspiré transformé par la flamme du buisson ardent ? Qui le reconnaît comme libérateur du Peuple et restaurateur de la nature humaine, dans la dramaturgie des dix plaies d’Égypte ?

Cet essai réexamine l’inspiration des textes fondateurs, le mythe grec et la révélation hébraïque. La confrontation tourne au dialogue et les deux personnages fournissent les éléments convergents d’une anthropologie universelle.

Grandeur et misère de la nature humaine ! Mais au-delà du constat de la chute et de la déchéance puis de la promesse et de l’espérance d’un relèvement, il y a la certitude du sens du don de la vie dans laquelle il n’y a plus de tragédie possible, mais un long effort dramatique. Tout s’achève en résurrection.

En exclusivité, découvrez en avant-première la préface écrite par le Père Francisco Sáez !

Jean-François Froger, parfois avec un co-auteur, produit des essais anthropologiques et théologiques montrant le renouvellement possible d’une pensée reconnaissant sa source d’inspiration.

Six chemins pour connaître sagesse et intelligence

Ou À la recherche des Béatitudes
Parution le 17 mai 2024

Y a-t-il une caractéristique unique de l’humanité qui puisse la distinguer du monde animal ?

Tout le monde a entendu parler des Béatitudes proclamées par Jésus à ses disciples comme « discours inaugural » de son enseignement.

Chacun se souvient d’avoir entendu : « Bienheureux les pauvres en esprit, parce que le Royaume des cieux est à eux » et peut-être aussi les huit autres exclamations énigmatiques.

Cet essai reprend l’étude du contexte biblique des paroles de Jésus pour en montrer le sens. La première intention du discours est la révélation de Jésus comme Messie, le Désiré des Nations. La seconde est d’entraîner les disciples à une profonde conversion vers la Sagesse, comme par les chemins initiés dans le livre des Proverbes.

Il s’agit de connaître cette sagesse, de comprendre les paroles de l’intelligence, de recevoir le chemin de la justice, et d’accéder à l’interprétation des énigmes et paraboles.

Plusieurs chemins dont le parcours est une initiation spirituelle et dont le but est précisément un « bonheur » que l’expérience coutumière ignore mais que la Révélation met à notre portée. En outre, le lecteur découvrira que le tissu de cette Révélation comporte une structure logique, signature du Logos dont la parole éveille l’intelligence humaine de siècle en siècle !

Question Réponse : Comment comprendre le don de l’Esprit Saint ?

Jean-François FROGER (octobre 2023)

Votre question : « Comment comprenez vous le don de l’Esprit Saint, quand les apôtres, « remplis du Saint-Esprit, se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer ». Et quel est le lien de ce don avec les langues de feu, qui se posèrent sur chacun d’eux ? »

C’est bien difficile d’expliquer cette scène du jour de la Pentecôte à Jérusalem où les Onze apôtres viennent de tirer au sort pour remplacer Judas. Le collège des apôtres est de nouveau complet pour le jour de shavouot, la fête des semaines, où l’on célébrait la mémoire du don de la Torah à Moïse sur le mont Sinaï. 

Ce don de la Torah est le jour de naissance du Peuple d’Israël, car il n’y a de peuple qu’avec une loi et un donateur de la loi. Aussi le peuple d’Israël reçoit sa loi de Dieu même et devient ainsi son royaume. A la différence des Nations qui se donnent leur propre loi, au nom d’un roi, d’un empereur ou maintenant d’une caste dominante (la « majorité » plus ou moins fabriquée par les puissants). Evidemment, Israël sera infidèle tout au long de son histoire, en voulant un roi comme les nations etc.…Mais ce peuple portait la prophétie dont on voit la réalisation en ce jour de Pentecôte. 

En effet, ce n’est pas simplement la mémoire du don de la Torah mais l’institution du Peuple de Dieu, non plus selon la figure prophétique du peuple d’Israël, mais selon sa réalisation à travers toutes les nations. C’est pourquoi le signe est donné d’un langage que chacun entend dans sa langue ; dans toutes les langues du monde connu présent, portées précisément par les juifs pieux assemblés pour Pentecôte. « Ils se mirent à parler en d’autres langues, selon ce que l’Esprit leur donnait de prononcer ».

Il s’agit des signes donnés à comprendre (c’est à dire un langage) que le donateur de la Torah était le Saint Esprit et que cet enseignement divin devait maintenant atteindre toutes les nations, en composant un nouveau peuple dont les douze apôtres figuraient l’essence même des douze tribus d’Israël. La chose va être extrêmement difficile à comprendre et à mettre en œuvre, c’est tout le sens des Actes des apôtres et la grande mission de Shaoul /Paul. Comment ces douze hommes vont-ils pouvoir faire une telle révélation ? En comprenant de l’intérieur la Torah. C’est ce que Pierre commence à faire en citant le prophète Joël :  » Et il adviendra dans les derniers jours dit Dieu, que je répandrai de mon Esprit sur toute chair… ». Et le signe que cela vient de se réaliser est précisément ce qu’ils ont expérimenté dans la maison où ils étaient réunis : » un bruit du ciel comme un violent coup de vent qui remplit toute la maison où ils étaient assis et des langues de feu qui se partageaient en se posant sur chacun d’eux ».

Alors les apôtres ne parlent plus de leur propre fonds « mais selon ce que l’Esprit leur donnait de prononcer ». Cela rappellece que Jésus disait très souvent de lui-mêmeà savoir qu’il ne parlait pas à partir de lui-même mais à partir de ce qu’il entendait du Père. Les langues de feu viennent se poser sur la tête des apôtres à partir d’une seule flamme, c’est la même en chacun, se divisant en autant de langues. Figure de la véritable unité de l’Église : l’unité de l’Esprit qui illumine toutes les intelligences dans la diversité de leurs expressions humaines.  Il ne s’agit pas de parler une seule langue comme à Babel avant sa destruction ! (Là il faudrait revoir ce récit dans la Genèse)

Pourquoi l’Esprit se manifeste-t-il par un violent coup de vent ? Parce que le vent est la figure symbolique de l’Esprit, comme l’explique Jésus. (en hébreu esprit et vent se disent par le même mot ruah) Dieu utilise les choses comme signes pour donner sa révélation. Aussi faut-il bien comprendre ce que symbolisent le vent, le feu, la flamme etc…

La surprise et la stupéfaction furent immenses ; comme le sera notre compréhension de ces mystères, si nous recevons le sens de ces événements !

Question Réponse : À propos de la pluralité des logiques.

Jean-François FROGER (septembre 2023)

Votre question : « Comment situez-vous les logiques ternaires et quaternaires dont vous parlez dans vos livres, par rapport à ce qui est expliqué ci-joint (pages 34 et suivantes de l’original et que je reproduis ci-dessous) ?

Ces logiques remettent-elles en question la logique qu’on peut appeler classique, ou bien viennent-elles seulement montrer que celle-ci peut recevoir des élaborations plus complexes ? »

« Le subjectivisme utilise une logique qui lui est propre. On a même dit, et trop répété, que cette logique nouvelle devait remplacer l’ancienne logique, dite « classique ». En fait, l’interprétation subjectiviste de la mé­canique ondulatoire impose l’usage d’une logique spéciale : c’est incontes­table. Est-ce là une raison pour affirmer que cette logique spéciale est la logique ?

Nous croyons au contraire que la logique qu’implique le subjec­tivisme plaide contre lui. Voyons tout d’abord rapidement pourquoi le sub­jectivisme a sa logique à lui. Il entend énoncer une prévision concernant des résultats qui, au moment où la prévision est faite, sont également pos­sibles, mais qui seront incompossibles ; tel est le cas des grandeurs incomposables. Dans ce cas, donc, la disjonction entre deux propositions corres­pondant aux grandeurs en question est une disjonction sans exclusion au moment de la prévision et une disjonction avec exclusion lorsque la mesure sera effectivement effectuée. Le calcul des prévisions se trouve astreint à conserver l’une et l’autre : l’exclusion en vertu de son contenu physique, la non exclusion en vertu de sa nature épistémologique. Par suite la logique attenante au calcul des prévisions se trouve elle-même astreinte à conserver pour la disjonction de deux propositions correspondant à des grandeurs incomposables, deux acceptions opposées : avec exclusion, sans exclusion. Ces deux acceptions, qui en logique classique s’excluent, en logique des prévisions ne s’excluent pas ; p v q peut signifier exclusion et non exclusion, non certes simultanément ce qui serait contradictoire, mais l’un ou l’autre  {34} 

selon le contexte logique diffèrent. Il suit que le tiers exclu ne vaut pas en logique prévisionnelle. Mais c’est là une conséquence du point de vue particulier où on se place : c’est ce que voile la présentation en quelque sorte axiomatique que l’on fait d’ordinaire de ces questions. On dit : il existe différentes logiques qui dérivent respectivement de différents choix d’axio­mes : notamment, le tiers exclu appartient à la logique classique ; si on n’en fait pas état on obtient une logique plus faible. Or c’est cette logique plus faible qu’impose d’employer le calcul des prévisions, donc c’est cette logique plus faible qui est la vraie. Ce raisonnement serait impeccable si le point de vue auquel on se place pour le calcul des prévisions était l’uni­que point de vue qu’il soit obligatoire d’adopter pour penser, à tout le moins pour penser « scientifiquement ». Nous avons déjà vu que cela est inexact, puisque l’objectivisme et le subjectivisme sont à parité en regard de la technique scientifique. 

Mais voici une autre raison, plus profonde encore, en faveur de la logique admettant le tiers exclu, et contre les logiques qui ne l’admettent pas. Le jugement et le raisonnement consistent en ce que l’esprit a l’évidence d’une certaine convenance ou d’une certaine disconvenance : soit entre deux termes, soit entre deux propositions. Dans un cas comme dans l’autre, l’esprit saisit dans un même acte simple deux réalités mentales qui sont donc pareillement actuées dans cet acte. Il se peut que l’esprit n’y parvienne pas et que sa démarche demeure inchoative : il n’a pas encore découvert la lumière ou le point de vue qui permet de dominer cette dualité ; il faudra analyser davantage : mais alors il n’y a ni jugement ni raisonnement, il n’y a pas de progrès de pensée, il y a tout au plus la promesse d’un tel progrès. S’il y a réellement progrès, c’est-à-dire s’il y a jugement ou raisonnement, l’esprit déclare en vertu de l’acte simple qu’il pose : convenance ou disconvenance, oui ou non ; et il n’y a pas de valeur tierce. Autrement dit la pen­sée pensante use inéluctablement d’une logique avec tiers exclu. Maintenant, il est parfaitement possible de construire des logiques à plusieurs et même à une infinité de valeurs ; mais soit que par exemple on cherche à établir la non contradiction de cette logique, soit que tout simplement on s’applique à en suivre les règles, dans un cas comme dans l’autre l’esprit qui a cependant construit cette logique à une infinité de valeurs usera en fait de la logique avec tiers exclu. Voilà donc deux types de logiques : le pre­mier type ne comporte qu’un seul cas, et c’est la logique de la pensée pensante, la logique de l’esprit en acte de recherche et qui clôt cette recher­che dans un acte simple, logique avec tiers exclu. Le second type comprend toutes les autres logiques, et la flore en est abondante à souhait : c’est un joyau du jardin mental, mais elle ne comprend que des plantes de serre, succédanés artificiels de l’unique logique expressive de la φύσις de l’esprit, lui-même ordonné à saisir ce qui est. {35} 

Quelle est la vraie logique ? Nous laissons au lecteur le soin de con­clure. Nous nous permettons de l’y aider en notant que les logiques fabri­quées doivent être non contradictoires : condition minimale pour ainsi dire. Or « contradiction » et « non contradiction » constituent une alternative adéquate : il n’y a pas de tierce valeur. C’est-à-dire que les logiques qui sont le fruit de l’art mental sont normées, au point de vue de leur validité et partant de leur réalité, par la logique de la pensée pensante. L’inverse n’est pas vrai. La logique réelle ne peut être que cellequi norme la réalité des autres. 

Remontons maintenant au fondement métaphysique de l’argument lo­gique que nous venons de développer. L’alternative que la logique prévi­sionnelle conserve sous la disjonction vient de ce que cette logique est con­trainte de placer sous une même accolade mentale d’une part ce qui actuellement n’est qu’en puissance et d’autre part ce qui sera en acte comme si il l’était déjà ; dominer la dichotomie acte-puissance, ou bien faire comme si le temps n’était pas irrévocablement successif et faire porter une alter­native sur des termes qui en réalité ne peuvent être simultanés, rendre ainsi compossible selon la vue de l’esprit cequi en fait ne l’est pas : telle est la position certes originale mais difficile de la logique prévisionnelle. Elle rend service pour décrire une situation ; mais il est clair que, en vertu même de sa position, elle ne peut correspondre à aucune réalité objective. Il nous paraît donc préférable d’en éviter l’emploi à moins d’y être tout à fait contraint. Le strabisme est parfois inévitable : serait-ce là une raison pour en faire la loi de la vision normale ? Semblablement, il est impossible d’avaliser la logique prévisionnelle, qui amalgame l’acte et la puissance, à la logique réelle qui doit exprimer en structure l’acte de la pensée réelle. Ces deux logiques ne sont également possibles qu’a priori, tout comme le sont le strabisme et la vision normale. Cela n’entraîne pas qu’on puisse, encore moins qu’on doive leur accorder la même valeur. 

Enfin, et ce sera reprendre à un point de vue plus général ceque nous venons de dire immédiatement, l’interprétation subjectiviste dela méca­nique ondulatoire et la logique correspondante dérivent d’une conception de la science fort discutable : « savoir c’est prévoir ». Tout le monde accordera que la connaissance des principes qui rendent la réalité intelligible doit permettre d’en prévoir les aspects soumis au déterminisme. Mais on ne saurait faire de cette prévision l’essence de la science. La science entraîne que, dans certaines conditions, on puisse prévoir ; mais la science consiste à connaître ce qui est avec certitude et par voie rationnelle. Et si la prévision s’avère difficile, cela n’entraîne pas que la science doive renoncer à sa fin propre. La logique de la prévision, ingénieusement adaptée à une fonction particulière de la science, n’a pas à supplanter la logique de la connaissance objective : laquelle spécifie formellement la science elle-même. {36} 

Nous croyons donc pouvoir conclure qu’il convient de retenir l’inter­prétation objectiviste de la mécanique ondulatoire. Si nous nous sommes longuement étendus, c’est que nous nous trouvons maintenant ramenés à une question « classique ». Ce qui suit, et qui est en un sens le plus im­portant, a déjà été dit ou aurait pu l’être. »

Extrait de Guérard des Lauriers L.-B., o.p. L’univers au point de vue cosmologique, 31-53, dans Il Mondo nelle prospettive cosmologica, assiologica e religiosa. Atti del XIV convegno del centro di studi filosofici tra professori universitari. Gallarate 1959. Brescia, Morcelliana, 1960.

Merci pour cette question nous donnant l’occasion de mieux comprendre le problème du rapport de la logique à la réalité.

L’article du Père Guérard des Lauriers o.p. est fort intéressant dans son analyse de la compréhension épistémologique des théories de la Relativité, restreinte et générale.
Il montre le point de vue aristotélicien et ses présupposés évidents :

« Mais voici une autre raison, plus profonde encore, en faveur de la logique admettant le tiers exclu, et contre les logiques qui ne l’admettent pas. Le jugement et le raisonnement consistent en ce que l’esprit a l’évidence d’une certaine convenance ou d’une certaine disconvenance : soit entre deux termes, soit entre deux propositions. Dans un cas comme dans l’autre, l’esprit saisit dans un même acte simple deux réalités mentales qui sont donc pareillement actuées dans cet acte. Il se peut que l’esprit n’y parvienne pas et que sa démarche demeure inchoative : il n’a pas encore découvert la lumière ou le point de vue qui permet de dominer cette dualité ; il faudra analyser davantage : mais alors il n’y a ni jugement ni raisonnement, il n’y a pas de progrès de pensée, il y a tout au plus la promesse d’un tel progrès. S’il y a réellement progrès, c’est-à-dire s’il y a jugement ou raisonnement, l’esprit déclare en vertu de l’acte simple qu’il pose : convenance ou disconvenance, oui ou non ; et il n’y a pas de valeur tierce. Autrement dit la pen­sée pensante use inéluctablement d’une logique avec tiers exclu. »

(C’est moi qui souligne, comme par la suite)

Et il enchaîne :

« Maintenant, il est parfaitement possible de construire des logiques à plusieurs et même à une infinité de valeurs ; mais soit que par exemple on cherche à établir la non contradiction de cette logique, soit que tout simplement on s’applique à en suivre les règles, dans un cas comme dans l’autre l’esprit qui a cependant construit cette logique à une infinité de valeurs usera en fait de la logique avec tiers exclu. Voilà donc deux types de logiques : le pre­mier type ne comporte qu’un seul cas, et c’est la logique de la pensée pensante, la logique de l’esprit en acte de recherche et qui clôt cette recher­che dans un acte simple, logique avec tiers exclu. Le second type comprend toutes les autres logiques, et la flore en est abondante à souhait : c’est un joyau du jardin mental, mais elle ne comprend que des plantes de serre, succédanés artificiels de l’unique logique expressive de la φύσις de l’esprit, lui-même ordonné à saisir ce qui est

Quelle est la vraie logique ? Nous laissons au lecteur le soin de con­clure. Nous nous permettons de l’y aider en notant que les logiques fabri­quées doivent être non contradictoires : condition minimale pour ainsi dire. Or « contradiction » et « non contradiction » constituent une alternative adéquate : il n’y a pas de tierce valeur. C’est-à-dire que les logiques qui sont le fruit de l’art mental sont normées, au point de vue de leur validité et partant de leur réalité, par la logique de la pensée pensante. L’inverse n’est pas vrai. La logique réelle ne peut être que celle qui norme la réalité des autres. »

Le présupposé parfaitement exposé consiste à penser qu’on ne peut penser qu’avec la logique à deux valeurs, vrai/faux, excluant précisément d’autres valeurs de vérité. C’est le cas évident de la logique des propositions portant sur le concept de vérité. Et cette forme logique, formalisée par Aristote puis par les Scolastiques et enfin par la logique mathématique moderne, convient aux théories abstraites de l’expérience immédiate, et à la métaphysique classique.
Viennent en trouble-fête les logiques à n-valeurs où le tiers exclus ne règne plus ; ce qui empêche de décider du oui ou du non et laisse place à un suspens ; ce qui semble bien convenir à des états indéterminés, aux probabilités etc…   On n’y parle plus de vérité ou de fausseté. Comme l’auteur le dit avec un humour corrosif :

« la flore en est abondante à souhait :  c’est un joyau du jardin mental, mais elle ne comprend que des plantes de serre, succédanés artificiels de l’unique logique expressive de la φύσις de l’esprit, lui-même ordonné à saisir ce qui est ».

Les problèmes sont posés et tout à la fois ignorés !  

En effet, l’auteur compare des logiques en ne posant jamais la question essentielle, à savoir : qu’est-ce qu’une négation ? A sa décharge, personne ne posait une telle question ! Le présupposé du tiers exclus est si fort qu’il n’y a que la proposition P et sa négation non-P, si l’une est vraie, l’autre est fausse, etc… En conservant le même présupposé, on essaye de faire varier les possibilités en diluant les valeurs de vérité en n-valeurs. Et l’on ne dit pas valeur de quoi. Seuls les poètes et les psychologues savent qu’il y a des demi-vérités, du pas tout à fait vrai et du presque faux, etc.  Mais surtout pas en logique, ni en métaphysique ou en physique utilisant cette logique. Cette logique dont on ne voit pas le fondement et qui s’impose de façon inéluctable pour penser correctement.

L’autre présupposé est parfaitement clair, mais l’évidence crève les yeux, c’est que l’esprit est ordonné à « saisir ce qui est » ; comme s’il allait de soi que ce que nous déclarons « être » est. Les notions d’ « être »  et, plus moderne, de « réalité » ne sont évidemment jamais définies, ne pouvant l’être parce que posées en principe.

Alors on peut poser la question de la pertinence de ce choix de principe. Car s’il est vrai qu’il faille nécessairement un principe, lequel choisir ? Ou bien affirmerons-nous qu’il n’y a pas de choix ? Le premier principe s’imposerait nécessairement comme ce qui éviterait par la suite de rencontrer la contradiction ? Alors ce premier principe serait imposé par le principe de non-contradiction…et c’est celui-ci qui se révélerait comme premier dans une espèce de cercle vicieux. Le principe de non contradiction dépend du choix a priori des deux valeurs (vrai-faux) et de la négation qu’on pense implicitement unique. Et c’est donc ce choix qui est au principe, parce qu’il paraît évident ; si évident qu’on ne pense pas à le questionner.

Que les logiques floues ne soient pas appropriées pour décrire toute la φύσις, c’est évident, puisqu’elles ne traiteraient pas d’un aspect de la logique convenable à tout ce qui relève effectivement du tiers exclus !

En revanche, et nous revenons à la question ignorée, qu’est-ce qu’une négation ? Le présupposé inconscient et inévitable (à l’époque) du Père Guérard des Lauriers, c’est qu’il n’y a que la logique classique et des logiques adaptées aux « prévisions » de la mécanique quantique. Si cela était vrai, son raisonnement serait parfait.

En effet, aussi bien la logique classique que les logiques à n-valeurs procèdent du même choix axiomatique inconscient : il n’y a qu’une négation. L’opérateur négation est si « évident » qu’il n’est jamais défini, comme s’il n’y avait toujours qu’une seule façon de nier une proposition. On ne pensait pas à une telle question !

Tout le travail sur la logique que nous avons fait, Robert Lutz et moi, repose sur la question « qu’est-ce qu’une négation ? ». (Robert Lutz était mathématicien, chercheur, professeur d’Université, etc… hélas décédé lors de la crise du Covid, il y a trois ans).

La réponse est très simple et valable pour toutes les logiques possibles, en considérant l’opérateur négation indispensable (la démonstration en est faite) : la négation est une fonction involutive sans point fixe appliquée à un ensemble de valeurs. Il y a alors des logiques avec négations, nécessairement paires, et des logiques sans négation, nécessairement impaires. La logique classique est paire (deux valeurs) et possède une négation, celle que nous employons d’instinct. Ensuite la logique quaternaire possède trois négations, ce qui déroute nos habitudes mentales ! Et la logique ternaire ne possède pas de négation, mais des opérateurs spécifiques que nous avons nommés, faute de mieux, des « trégations », parce que ça ressemble à des négations compatibles avec un tiers qui n’est plus exclus ! (Voir notre ouvrage sur les « Fondements logiques de la Physique » et tous les exemples dans les textes de la Révélation biblique, parsemés dans mes ouvrages).

Aucune logique ne remplace une autre ; elles n’ont pas le même champ d’application. Mais on peut remarquer que la logique classique est un cas de simplification de la logique quaternaire. Très utile et très pratique, mais trop simple pour ce que la « réalité » nous offre à contempler en Physique, en Métaphysique et dans la Révélation.

On remarquera que les explications que je tente de donner ici usent de la logique usuelle ; par exemple dans l’expression employée ci-dessus : « la logique ternaire ne possède pas de négation ». C’est que la négation est une opération réductible à la logique binaire. Sauf que cette logique binaire usuelle ne permet pas sa propre explication, laquelle se trouvera dans une opération de « binarisation » du quaternaire. En effet, la logique quaternaire a bien sûr quatre « valeurs de … » et trois négations.  Les valeurs logiques sont déterminées par le champ de la logique en question. (Valeurs de vérité, valeurs de présence, etc…). C’est dire qu’on peut nier une proposition quaternaire de trois façons différentes, mais que chaque négation quaternaire est elle-même du type d’une négation binaire. On peut toujours aller de la logique quaternaire à une réduction en logique binaire, mais la réciproque n’est pas possible ; l’une « contient » l’autre et cette inclusion ne relève pas de la logique usuelle, car la logique quaternaire vient précisément d’une structure relationnelle impossible à décrire en binaire.

La logique usuelle reste donc d’une importance primordiale, mais elle n’épuise nullement le champ de ″la logique″.

On peut démontrer qu’il n’y a que quatre logiques effectives : unaire (un seul terme, sans opérateur), binaire (usuelle avec deux valeurs et une seule négation), ternaire (sans négation, avec trois valeurs et des opérateurs de « trégation »), quaternaire (avec quatre valeurs et trois négations différentes, corrélées par une structure). La dernière « contient » les trois autres comme des cas particuliers.

Le texte du Père Guérard des Lauriers contient beaucoup d’aspects intéressants et propices à des réflexion plus poussées sur ce qu’on appelle le « réel » ou la « réalité » ou encore, implicitement sur « ce qui est » ; en bref le Père GdL avait l’intuition que la question sur la logique pouvait remettre en cause les fondements de la métaphysique classique. Il a raison : ce ne sont pas les logiques simplement multivaluées, à une seule négation, qui entraînent un tel renouvellement possible.