Archives par mot-clé : livre

Sainte Marie-Madeleine : Recension par Marion Duvauchel

Sainte Marie-Madeleine, Apôtre des Apôtres, Éditions grégoriennes, 2017

Sainte Marie-Madeleine, Apôtre des Apôtres, Éditions grégoriennes, 2017

Jean-François Froger, Jean-Michel Sanchez
Iconographie : Jean-Paul Dumontier
Recension
Marion Duvauchel

En 2017, les éditions Grégoriennes ont publié un ouvrage, aux illustrations superbes (et adroitement commentées), consacré à sainte Marie-Madeleine. Il se présente en deux volets : la première partie, du bibliste Jean-François Froger, développe les « implications théologiques et anthropologiques figurées dans la personne et les actes de Marie de Magdala » ; la seconde expose les fruits historiques de la présence de la sainte en Provence. Jean-Michel Sanchez y déroule un parcours de l’histoire cultuelle, décrit l’enracinement du christianisme dans la Gaule comme la dévotion qui n’a cessé de grandir à travers les siècles pour celle qu’il appelle sobrement « la gloire de la Provence ». On ne saurait mieux formuler.

Ceux que passionnent les faits, les dates, les évènements, les aléas du culte et les vicissitudes des reliques, le poids des grands de ce monde dans l’inscription de la sainte dans « ce coin enchanté » iront d’emblée au chapitre VIII qui ouvre cette seconde partie. Ils y trouveront l’exposé précis, circonstancié et exhaustif (pour autant qu’on puisse en juger) de ce que nous savons sur la sainte venue de Judée, comme aussi ces choses miraculeuses que les poètes de Provence racontaient encore il n’y a pas si longtemps :

« que Jésus toucha du doigt son front,
Ce dont les faux docteurs lui voulaient faire affront ;
Ce front touché du doigt porte encore une marque (Jean Aicard, la Sainte Baume).

Cette marque, on l’a appelée le « noli me tangere », et au cours des siècles, avec les vols successifs, le dépeçage et la destruction de la relique, il a fini par disparaître.

Le culte de Marie-Madeleine, autrement dit sa mémoire, a cependant traversé les siècles : malgré le danger musulman, malgré la violence révolutionnaire – celle de Marat le sombre qui dispersa ses reliques ; malgré (pire encore peut-être) l’implacable rationalisme qui prétendit éradiquer les traditions provençales qui maintenaient le souvenir de ces évangélisateurs venus d’Orient, avec dans leur chair et dans leur cœur, au plus profond de leur conscience et de leur expérience, le souvenir de Jésus. Et son Amour.

La critique historique a fini par imposer l’idée que sous l’image de Marie-Madeleine, il y a trois femmes.

J.F. Froger pose d’emblée son choix de n’en voir qu’une seule. Sa méthode vise à comprendre la signification des textes par la critique interne, (en choisissant la version araméenne orientale des évangiles : la Pshitta) avec pour postulat que ces textes ne deviennent intelligibles qu’avec l’unité d’une seule personne : Marie de Béthanie. Le bibliste s’appuie au long de sa démonstration sur ceux qui l’ont précédé dans la compréhension de cette femme « si discrètement présente sur le chemin de Jésus, d’abord anonyme, puis nommée mais méconnue, et réhabilitée ». Nous trouvons là, avec une exégèse nouvelle, tout un trésor de citations et de références : du cardinal Bérulle, de saint Augustin, de saint Grégoire, pour n’en citer que quelques-uns.

Sept chapitres pour « entourer » le mystère d’une vie qui s’ouvre dans le moment où une prostituée vient publiquement rendre hommage à Celui qui lui a remis son péché, et lui couvrir les pieds de parfum et de larmes avant de les essuyer de ses cheveux :

Habille-toi de lin, Vénus, voici le Christ
Deviens la Madeleine, et laisse en toi descendre,
Mélancoliquement, sa grâce et son esprit,
Humble, ternis tes pieds dans de la cendre (Emile Verhaerent).

Une femme, prostituée notoire, riche et belle, entre un jour là où elle sait que se trouve Jésus, attablé chez des connaissances. Elle donne l’exemple de la déchéance à « l’état pur », « le fond luxurieux de toute l’humanité qui s’exprime là avec toute la force d’une ardeur sans raison, d’une passion sans justification » (p. 17). Marie Madeleine est la figure d’une corruption propre à toute l’humanité. Mais elle a rencontré Jésus, « un homme qui ne porte pas sur elle un regard, même furtif, de désir luxurieux », elle a croisé son regard (qui est l’ultime toucher) un « inoubliable abime de pureté ». De ce premier échange va surgir en retour un autre abîme d’amour et de gratitude dont les larmes sont le signe.

Comment dès lors, peut-on douter de l’unité de cette femme, et que Marie sœur de Marthe, réhabilitée et relevée, « convertie », est bien la même femme que la prostituée aux pieds de Jésus. Il faut oublier le poncif de l’active et de la contemplative. Marthe, il est vrai, reçoit Jésus dans sa maison, elle doit organiser et diriger l’accueil de l’hôte de marque qu’Il est. La maison est une figure de l’intérieur, Marthe reçoit Jésus dans son « intérieur ». Marie écoute la parole vivante, celle qu’elle a été rendue apte à recevoir dans « l’intérieur de l’intérieur », dans la nuit de sa conscience revisitée. De même rappelle le bibliste, on reçoit le pauvre dans sa maison. Et on reçoit Jésus dans les profondeurs de la vie secrète, cette vie qui a connu les premières purifications de l’intelligence.

Chacune des apparitions de Marie Madeleine dans les textes, chacun des actes relatés, sont autant d’occasion de révélation par Jésus : par une parabole (la première onction, lorsqu’elle entre pour pleurer aux pieds de Jésus) ; par un silence (celui du Crucifié qui ne laisse tomber de ses lèvres aucune parole pour la femme qui se tient là) ; par le refus apparemment incompréhensible (ne me touche pas).

C’est par cet interdit, dit le bibliste, que Jésus enseigne « une chose cachée depuis la fondation du monde, à savoir la réalité du corps spirituel » (p. 51). Entre la vision et l’audition, se dit toute une transformation. Celle qui permet à la jeune femme de reconnaître la nature du corps de Jésus : un corps ressuscité.

Marie-Madeleine est la grande figure de la révélation du corps ressuscité : elle « est au cœur de la transformation entre le dépouillement mortel et le corps nouveau du Ressuscité, que les quarante jours vont expliciter aux disciples (p.53). Si elle ne peut avoir un contact avec le corps ressuscité, c’est qu’ « il faut une capacité nouvelle qui ne relève pas du souvenir, de la mémoire de l’expérience nouvelle », mais « d’un acte de foi où l’intelligence devient le toucher de la réalité invisible ». Et la femme qui accourt au tombeau n’en est pas encore capable.

La vocation de celle qui a vu le Seigneur est unique ; son rôle ressemble à celui de ces deux anges du tombeau : l’un à la tête et l’autre aux pieds de l’endroit où Jésus a été déposé. Elle est la messagère unique du travail à faire par les apôtres : annoncer la Résurrection. Autrement dit, faire comprendre un « mouvement par lequel on passe de l’invisible divin au visible humain, puis du visible humain à l’invisible et visible divins ». Jésus ressuscité est à la fois visible et invisible car il est présence de signe. « Qui me voit, voit le Père ». L’Impure relevée de son péché, la femme qu’il a rachetée et arrachée à la fosse, nous conduit vers la contemplation des différents états du Verbe divin. Quatre états d’un corps unique dont le symbole des apôtres décrit le cheminement. Le chemin de révélation se clôt dans le moment où Jésus établit Marie Madeleine comme Femme pure, comme figure même dans la nature humaine, de ce pôle capable de recevoir l’inspiration » : « ce qu’elle doit à son tour révéler aux apôtres » et qui fait d’elle « l’apôtre des apôtres ».

Malgré la rage anti-chrétienne à travers les siècles, malgré Marat le sombre, rien ne peut effacer la lumière des trente années de contemplation, de pénitence et d’extase de cette sainte que la grâce a élevée à la même dignité que celle de la sainte Vierge. L’une née et demeurée pure, l’autre relevée par un acte divin par lequel elle a entrevu le Dieu de Miséricorde. La Grâce mais aussi une longue ascèse.

Nous autres, gens de la Provence, qui vivons sur ce « coin enchanté » réputé pour sa beauté et pour la lumière qui inonde ses champs de lavande, ses genêts, ses grands platanes et ses garrigues, ses paysages de vigne, d’olivier et de figuiers, caractéristiques du pourtour méditerranéen, nous autres, quand nous avons un peu lu, nous n’avons pas oublié l’antique unité de cette mare nostrum, fracturée sans retour par les hommes de Mahomet. Cette mer d’où sont venues ces disciples de Jésus pour évangéliser la Gaule. Même quand nous n’avons pas l’accent de Panisse ou de Marius, nous ouvrons le livre de souvenirs de Marcel Pagnol dans les collines du Garlaban et nous lisons et relisons avec délice « le plus grand rêveur de tous les temps » (selon Gaston Bachelard) : Henri Bosco. Nous les lisons et nous savons pourquoi la lumière de la Provence est une lumière unique au monde. C’est parce que la terre même de la Provence a gardé le souvenir des larmes que la sainte a versées dans sa « baume », parce que le ciel se souvient encore de ses extases, que la lumière qui tombe sur cette terre de cailloux et de fenouil fait surgir, mêlé au chant de la terre et au crissement des cigales, dans la nuit étoilée des profondeurs de notre conscience, le murmure de l’inoubliable Messagère :

« Habille-toi de lin et de bonté profonde,
Voici venir le Dieu de la douceur unique ».

Ce que le cœur des poètes sait d’intuition profonde, d’intuition sûre, nous pouvons le redécouvrir dans une autre lumière, celle de l’exégèse et de l’interprétation des textes, dans les sept premiers chapitres de ce livre des éditions Grégoriennes dans lequel nous est livré le suprême et sublime mystère de la sainteté de Madeleine, dont les trente années de pénitence sont le signe, trente ans de purifications drastiques de l’intelligence.

Trente ans pour « tisser en elle-même le corps du Ressuscité, par la pénitence pour elle, mais aussi pour tous les membres du corps du Christ ».

Une vie incorruptible

Pour une évangélisation nouvelle par le bon usage des paraboles dans l’annonce du royaume de Dieu
Parution le 11 avril 20225

La nouveauté ne peut pas venir du monde des possibilités déjà éprouvées, mais de l’instauration de nouvelles possibilités par la liberté créatrice, pour faire éclater la nouveauté de la vie.

C’est la clé de ce livre ; ce sera peut-être difficile à accepter, car il propose de changer le paradigme de l’interprétation des Écritures, en introduisant l’étude de la fonction symbolique des objets et l’usage d’une nouvelle logique (quaternaire).

Il fallait aussi mettre le doigt sur la plaie de la crise contemporaine du christianisme, manifeste dans l’apostasie massive des peuples européens, pour éveiller la soif d’une nouvelle compréhension à partir de la résurrection de Jésus, après laquelle il souffle sur ses disciples pour « ouvrir leurs intelligences ». Les paraboles de Jésus sont alors entendues comme hymne à la joie, en recevant les prémices d’une vie incorruptible. Telle pourrait être une « nouvelle évangélisation » ?

Six chemins pour connaître sagesse et intelligence : Recension par Marion Duvauchel

Six chemins pour connaître sagesse et intelligence
De Jean-François Froger
Éditions le Guetteur, 2024
Recension de Marion Duvauchel

Au moins dans le cadre de l’association Eecho, on ne présente plus M. Jean-François Froger. On
connaît son travail et en particulier la découverte de la logique réelle qui organise la Parole révélée : une logique quaternaire. Les plus réticents mêmes admirent cette œuvre impressionnante, tout en regrettant son aspect technique jugé parfois rebutant.
Comme dans tous les livres de Jean-François Froger, nous avons accès au texte araméen et à une traduction dans la langue d’arrivée proche de la langue de départ, avec des références précises pour ceux qui voudraient aller plus loin dans ce domaine. Cela est très précieux. On ne peut que l’en remercier, comme aussi remercier l’éditeur qui affronte les contraintes techniques de l’araméen.
Avec ce petit livre, il sera difficile, même aux grands Réticents devant l’Éternel de déplorer la place prise par cette logique quaternaire ou par une métaphysique ardue. Et pour cause : ce livre est le fruit d’une retraite et son objet est l’un des textes de Jésus les plus populaires sinon les mieux compris : les Béatitudes.
On en compte neuf. Neuf Béatitudes, mais six chemins. Annoncés en p. 13 sous le titre: « A l’orée des chemins ».
C’est tout un programme : « connaître la sagesse et l’éducation ; comprendre les paroles de l’intelligence ; recevoir une éducation sensée (justice, jugement et droiture) ; donner aux naïfs la ruse, au jeune, connaissance et pensée ; comprendre parabole et interprétation, les paroles des sages et leurs énigmes ».
Neuf Béatitudes donc mais six chemins, donc six chapitres. Pourquoi ?
Parce que si le texte des Béatitudes se présente sous la forme discursive d’une énumération, il est organisé par une structure, structure qui fait l’objet d’une explicitation tout au long de cet ouvrage, sous ses deux formes : la structure en carré et la structure en « tresse ».
Chacun de ces chemins suivis ou à suivre relie la (ou les) Béatitudes évoquée(s) à un ensemble qui la sous-tend : les vertus (l’humilité et la pauvreté) ; la miséricorde, reflet de la Miséricorde divine dont on retrouve l’expression dans l’une des formules du Notre Père (pardonne nous… comme…) ; ou encore la persécution, celle du disciple et celle de l’Église. Mais aussi les paraboles ou l’enseignement même de Jésus, qui se trouve ainsi explicité et éclairé ; ou encore la prophétie d’Isaïe qui annonce que toutes larmes seront essuyées de nos yeux : Heureux les affligés…
Cette « structure » n’est pas uniquement un exercice formel : elle rappelle que, au-delà de l’énumération qu’impose la langue, les Béatitudes constituent une composition unique, un « tissage » dans une unité où brille l’intelligence divine de Celui qui nous a laissé ce texte unique, qui est d’abord une parole orale.
Au-delà d’un petit guide lumineux pour entrer dans l’enseignement de Jésus, le lecteur trouvera là une initiation à la « forme » même qui organise cet enseignement, en en révélant le point nodal : la Miséricorde. Si chacun des six chemins proposés s’appuie sur des paraboles ou des passages de l’enseignement de Jésus, comme aussi de la Torah, il renvoie lorsqu’il y a lieu à la Prière des Prières : le « Notre Père ».
Et à sa dernière formule : Délivre-nous du Malin. Ceux qui ont suivi les enseignements de M. Froger sont conscients des enjeux d’une traduction juste, et donc d’une juste interprétation. Ils sont conscients que 2 c’est aussi dans l’Église qu’il nous faut ces « pauvres dans le souffle », (pauvres en esprit) : ces chrétiens qui reçoivent la parole telle qu’elle est donnée, sans la rapporter à leur expérience individuelle ou à un savoir culturel, y compris le savoir ecclésial ou théologique, souvent éperdu d’abstractions, ou pire encore, appauvri ou dénaturé par les multiples tentatives d’accommoder cette Parole à l’esprit du temps.
Ainsi chaque chemin est le lieu d’explicitation de ces formules dont nous ne mesurons pas toujours, faute d’une interprétation ad hoc, qu’elles nous parlent du Père et de l’identité véritable de Jésus, le Messie ; qu’elles parlent du Royaume, de Satan, de la justice et de la miséricorde, de l’effroyable concurrence qui organise la vie des hommes et rend toute paix impossible en dehors de celle de Jésus, et même du devenir des morts.
C’est dans le sixième chemin qu’on trouve, plus explicitement, les relations mutuelles des neuf
Béatitudes et la logique qui les sous-tend.
Les grands Réticents vont encore grogner : il y a trois pages sur la logique. Pour certains ce sera encore trop : oui, mais ces trois pages s’ouvrent sur des lignes lumineuses sur le royaume de Dieu. Suggérons qu’ils acceptent, au moins le temps de la lecture, d’être « pauvre dans le souffle », et de se donner ainsi une chance d’entrer dans la compréhension, au-delà de l’encodage logique, de la puissance transformante de l’enseignement de Jésus.
Ajoutons que cet encodage logique nous est exposé avec le maximum de clarté dont il est possible de faire preuve, que c’est une découverte majeure, pour ne pas dire décisive, et que tout ce qui est vraiment nouveau requiert quelque effort.
Ne fermez pas le livre : il y a des notes…
La première est un petit développement sur la note de bas de page n° 2 de la page 72. Il s’agit d’une analyse précise autant que prudente sur l’analogie spatiale énigmatique et même problématique du Shéol et de la Géhenne. En deux pages éclairantes, tous ceux qui s’intéressent à l’épineux problème du « devenir des morts » trouveront là de quoi nourrir leur méditation et peut-être, orienter leur réflexion future. Car, n’est-ce pas, il est un péché que la Miséricorde elle-même ne saurait racheter ou pardonner : le péché contre l’Esprit, conséquence d’une abominable confusion.
Et c’est bien l’enjeu de la dernière formule du Notre Père : ne nous laisse pas entrer dans la tentation de la confusion, celle de confondre Dieu et Satan. Celle aussi de douter de l’inspiration du Saint Esprit et donc de douter de Dieu, de sa Bonté, et donc de sa Miséricorde.
Car Satan seul nous abuse. Dieu ne nous abuse pas. Il dit vrai, vraie sa Parole, vraie sa Promesse, accomplie en son Fils, son Envoyé.
« La persécution la plus intime et la plus lancinante que le monde puisse nous infliger, c’est le doute » (p. 110). Le doute, ce corrupteur de l’âme… Contre ce mal vrai qui dissout la volonté, ronge la foi et corrompt l’intelligence, (ce mal qui sans nul doute a conduit à l’apostasie des peuples de l’Europe), il y a une antidote : les Béatitudes.
Et les six chemins pour entrer dans une compréhension plus profonde de ce qui fait la force de ce texte et son énigmatique splendeur : Celui qui en est la Source et l’Auteur.

Du combat spirituel à la déification : Recension par Marion Duvauchel

Jean-François Froger, Du combat spirituel à la déification, Éditions grégoriennes, 2019
Recension
Marion Duvauchel

Publié il y a bientôt six ans, Du combat spirituel à la déification est la mise par écrit d’un cycle d’enseignement donné dans le cadre d’une retraite animée au monastère de Cerfroid, pendant trois années consécutives. L’objectif affiché en était de « disposer les cœurs et les âmes à une « rencontre » où « la fine toile qui nous sépare de la connaissance véritable de la divinité pourra être brisée » (p. 136). Avec ce livre, l’enseignement d’abord réservé à quelques-uns est ouvert à tous ceux qui sont disposés à « l’entendre » c’est-à-dire à le laisser retentir dans leur cœur et leur intelligence, à le laisser mûrir aussi et donner du fruit.

Pour comprendre l’objectif énigmatique de ces trois retraites, il faut commencer par la mi-temps du livre : un long passage in extenso de saint Jean-de la Croix, dans lequel notre saint patron des mystiques décrit précisément les trois « toiles » qui nous séparent de Dieu. Les deux premières toiles qu’il faut briser, toute l’histoire de l’ascèse chrétienne nous en donne le rude mode d’emploi : vendre ses biens pour les donner aux pauvres, se raser ou de se couvrir la tête avant de se cloîtrer, passer de longues heures en prière, jeûner, se mortifier. La voie de saint Jean est la voie de l’amour et l’ascèse de son siècle n’est plus la nôtre.  
J. F. Froger propose une voie de connaissance qui implique un autre type d’ascèse et de renoncement : elle invite à une conversion de l’intelligence.

La piété nous presse de changer de conduite pour abandonner les convoitises de ce monde (…). Elle ne nous presse pas moins de changer de conduite en ce qui concerne l’intelligence », tout simplement « parce que la corruption de l’intelligence est invisible et insensible ».

Il faut briser la toile qui empêche l’intelligence humaine de communiquer avec l’Intelligence souveraine, l’Intelligence divine, dans un échange sublime qui est une union et que saint Jean de la Croix appelle « une rencontre ». Il faut libérer l’intelligence de la toile qu’elle a construite elle-même, toile d’idées fausses qui l’enserrent et l’empêchent d’entrevoir la Bonté, de l’Amour, la Beauté de Dieu. Il faut en particulier « sortir de la pensée expérimentale et des modèles intellectuels forgés par des siècles de réussite matérielle et technique (…) de cette sagesse conduisant au nihilisme, au transhumanisme dont l’image la plus sûre est celle des cadavres embaumés dans les pyramides ». (p. 224).

La vraie mort n’est pas la mort biologique mais la mort spirituelle, et le plus grand obstacle« est en nous-mêmes, dans la façon dont nous écoutons et comprenons ». Mais aussi dans la façon dont nous recevons, à commencer par la vue réelle du péché, qui est « notre incapacité d’être dans la foi et la justice ». Douloureuse expérience, mais salvifique puisqu’elle fait entrevoir l’Amour de Celui qui enlève le péché du monde. Il faut donc comprendre la nature même de ce péché à travers les images qui nous informent : le sens de la nudité honteuse d’Adam et Eve, la « chair de péché » qui est la nôtre. Toute une exégèse est développée qu’il nous suffit de suivre et de méditer.

Cette libération, qui est délivrance et guérison requiert d’abord un combat. C’est l’objet des quinze premiers entretiens. Qui combattre ? les « principautés et des puissances mauvaises ». « Au cœur de la recherche scientifique se cachent de féroces démons ». Nous commençons à voir les fruits mauvais des énergies mauvaises libérées dans l’histoire, de « ces esprits rebelles qui suscitent toujours la même convoitise vers une intelligence parfaitement auto-référente ».

Le remède, c’est de se renier soi-même. Première toile à briser. Suivre le Christ implique l’expulsion du démon mais aussi la crucifixion de l’homme intérieur et de ce à quoi il s’est identifié.

Ces chapitres/entretiens n’éclairent pas seulement les images du combat que fournit saint Paul – l’épée de justice, la cuirasse, les chaussures, le bouclier, le glaive, ils sont aussi destinés à éclairer « le rôle du monde angélique qui se révèle dans la lecture croisée des Écritures et de l’enseignement de Jésus ». C’est précisément cette lecture croisée qui nous est proposée en s’appuyant sur une grande diversité de thèmes reliées entre deux : le don de force et de ce qu’il signifie ; les conditions de l’amour fraternel et du monde qui vient… Comme un prisme qui réfléchit la lumière par tous ses côtés.

L’auteur rappelle encore s’il en est besoin que « les Écritures ne manipulent pas des abstractions mais des images », c’est le sens des images qui nous est restitué toujours accompagné des passages de la Torah ou de l’Évangile, traduits au plus près du texte araméen de départ et de la trace orale. ». « On ne peut comprendre la parole sans un don divin d’une inspiration angélique juste ». C’est tout le sens de la parabole du semeur, fondée sur « un schème universel dans les Écritures, à savoir le cycle des six jours de la Création » (p. 175) Car « penser la Création » est l’une des ambitions du bibliste, mais six pages, ce n’est pas assez et pour ceux qui ont soif, il y a Le livre de la Création. 

Cette deuxième suite de quatorze chapitres touche plus précisément à la « connaissance de Foi ». C’est donc les images qu’il faut contempler, à commencer par celle du Temple, « présence divine avec le peuple, dont la connaissance commence avec Moïse » et qui fonde la notion de « grand-prêtre.

Ceux qui ont lu les ouvrages majeurs de Jean-François Froger (La couronne du grand-prêtre, le livre de la nature humaine et le Livre de la Création) peuvent retrouver là ce qu’il y a développé en s’appuyant plus largement sur la logique quaternaire. Ceux qui n’ont pas ouvert cette « somme en trois volumes » disposent là d’une excellente introduction à cette « nouvelle apologie du christianisme » (pour reprendre le titre d’un de ses ouvrages).

Sous une forme un peu « étoilée », on retrouvera ou l’on découvrira la signification de la circoncision ; pourquoi les disciples ne pouvaient comprendre l’enseignement de Jésus qu’une fois qu’Il était ressuscité ; le paradoxe du Temple, dont le modèle est la « seule image pédagogique à notre disposition et qui est une la représentation terrestre de la réalité céleste qui est la présence de Dieu parmi les hommes » ; que les sexes n’ont pas leur sens dans leur fonction biologique, (ce qui feraient de l’homme et de la femme des animaux), mais qu’ils sont signes d’une différenciation créatrice figurée à travers ce Temple, la maison du Père ; qu’il est la figure de la nature humaine qu’il nous faut comprendre pour devenir authentiquement des disciples et « être engendrés de Dieu ».

Ce Temple dont il faut chasser les marchands, comme il nous faut les chasser de notre cœur.

L’image essentielle de cette deuxième suite d’entretiens n’est plus la toile à briser, mais le voile qui couvre le visage de Moïse, et nous suivons le « plus grand des prophètes » à partir de la lecture de l’Exode au chapitre 34.

La troisième partie est le volet plus anthropologique, dans une tonalité plus nerveuse. « Tous les refus que Jésus a essuyé viennent de la préséance donnée à l’interprétation philosophique des Écritures et de la liturgie du Temple ou encore selon l’interprétation mondaine des scribes et des pharisiens » qui ont remplacé la Torah par la coutume. Les imaginations philosophiques comme aussi les apports d’une anthropologie évolutionniste (donc darwinienne) font partie de cette « toile » qu’il faut laisser brûler pour permettre une « rencontre ». Cette troisième partie est aussi l’occasion d’abattre quelques idées répandues, voire quelques sottises, sur l’idée de religion, l’existence de Dieu, sur le rituel, la loi et son principe pour la vie des hommes et la question de l’autorité et de sa source.

C’est encore et toujours la question de la connaissance qui est posée, et de la révélation dans la connaissance humaine. C’est saint Pierre Chrysologue qui vient cette fois à l’appui :

 « La connaissance de Dieu est maintenant dans la pâte : elle se répand sur les sens, elle gonfle les cœurs, augmente les intelligences, et comme tout enseignement, les élargit, les soulève et les épanouit aux dimensions de la sagesse céleste. Tout sera bientôt levé. Quand ? A l’avènement du Christ ».

Là où il y a connaissance, il y a enseignement et il y a parole. Ce qui donne la vie, c’est la conformité à la parole divine, parce que c’est elle qui donne la vie. Les choses cachées depuis la fondation du monde sont révélées aux petits et aux humbles, ceux dont l’intelligence n’est pas ligotée par cette toile qui empêche de laisser passer la Lumière et de la désirer.

La première toile que décrit saint Jean de la Croix est temporelle. La deuxième toile est naturelle, elle fait « division » entre Dieu et l’âme. Une fois spiritualisée et déliée, alors la Divinité se laisse apparaître à travers elle. La troisième toile que saint Jean décrit, moins rigoureuse, est dite « sensitive », c’est celle qui comprend l’union de l’âme et du corps. La vraie mort n’est pas la disjonction de l’âme et du corps, la vraie mort est spirituelle.

Quand les trois toiles sont brisées, alors l’homme entre dans la Vie.

Jésus sauve pour la déification de l’homme. Il n’est venu que pour cela. Le combat spirituel n’a de sens qu’en vue de ce projet divin, de cette volonté divine à laquelle il nous faut librement consentir parce que cette volonté est souveraine Intelligence et Amour souverain et elle est exprimée dans l’une des clauses de la prière bien connue des chrétiens : « Que Votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». 

La volonté de Dieu, c’est le salut de l’homme, donc la divinisation de la nature humaine corollaire de la déification de l’âme « ce joyau ». C’est ce que dit la théologie.

Encore fallait-il qu’on s’employât à le démontrer.

Voilà, on s’y est employé, on salue, on rend grâce !

Moïse et Œdipe : Recension par Marion Duvauchel

Moïse et Œdipe, Jean-François Froger, Éditions Grégoriennes, 2024
Recension
Marion Duvauchel

C’est parce que, dans ce qu’on appelle les « mythes », les hommes projettent des données internes lorsqu’ils parlent des « « dieux » ou des « divinités », qu’Œdipe est « une source de connaissance de première grandeur » : c’est le premier des partis pris du dernier livre de J.F. Froger. Et puisque le mythe d’Œdipe vient de la Grèce, plutôt que se plonger dans la lecture de la Métapsychologie de Sigmund Freud ou dans Moïse et le monothéisme, relisons donc les tragédies de Sophocle (Œdipe roi, Œdipe à Colone), la source première du mythe bien avant les élucubrations des psychanalystes viennois. Car « Freud a rendu très célèbre le meurtre d’un père (Laïos) en faisant jouer inconsciemment l’horreur du parricide, mais en promouvant cet exemple comme un paradigme universel : tout fils devrait vouloir au moins inconsciemment, tuer son père et épouser sa mère. Il fait oublier que ce meurtre et cet inceste sont dans leur principe le résultat de la volonté meurtrière du père sur son fils nouveau-né, avec le consentement de la mère ». (p. 227). Funeste oubli qu’il convenait de réparer.

Le mythe, nous dit-on dans ce livre,parle de structures inconscientes en l’homme, et des structures qui ne varient pas ». Ce n’est pas tout de le dire, il faut expliquer. Deux questions se posent : « tous les comportements sont-ils liés à la vie psychique ? Tout comportement est-il interprétable « ? À la première question, la réponse est non. Tiens donc, il existerait des comportements tout à fait indépendants de la vie psychique ? Chez l’homme, tous les comportements signifiés par des signes corporels sont liés à la vie psychique et c’est pourquoi quand nous voyons un homme, nous voyons « une âme ». Le mythe reflète l’état de l’homme mais dans « une sorte de moyenne universelle ». Le « parti pris » va donc consister à regarder les images du mythe, à tenter d’en comprendre le sens et pour le cas qui nous occupe, répondre à la question :  de quoi Œdipe est-il donc la figure ?

La question engage aussi la philosophie. « On ne peut parler d’homme qu’au moment où potentiellement la conscience et la liberté sont possibles ». C’est ce à quoi la philosophie classique, globalement, a tenté de répondre jusqu’au moment où elle a abdiqué, frappée en son cœur même par ce que Freud appelait les blessures narcissiques : Marx, Darwin, et … Freud lui-même. Avec Moïse et Œdipe, foin de blessures narcissiques, foin de toute la littérature psychologique et psychanalytique supposée nous éclairer sur nous-mêmes et nous aider à vivre, il faut réfléchir : « Le seul problème psychologique consiste donc à déterminer, à connaître, la forme psychique permettant une telle naissance. C’est ce passage-là qui réordonne toute la vie antérieure et lui donne un sens. Sinon, il n’y a aucun critère de santé psychique ». Et le mythe d’Œdipe nous offre une image de ce passage et même tout le récit de la naissance à la mort conduit à ce passage, qui est une « assomption ».

Doit-on poser a priori un modèle conceptuel de l’Homme pour analyser son comportement à l’aide de ce modèle ? Peut-on se passer de modèle ? La question n’a rien d’oiseux, elle est même l’occasion de mettre deux ou trois choses au point : non, nous ne sommes pas des animaux récepteurs. A côté des découvertes précieuses (le style oral), l’idée que Marcel Jousse imposait comme une nécessité théorique – l’homme est un composé humain- est erronée. Et pour cause, ce serait admettre que l’homme est (n’est que) ce fameux animal raisonnable ayant un corps et une âme, héritage d’Aristote assumée dans la philosophie scolastique, stérilisante sur ce point car alors « aucune synthèse ne peut plus rendre compte de son unité ». Piégée au fond de cette impasse, l’anthropologie chrétienne s’y est enlisée.

Il faut donc lire le mythe selon la méthode de M. Froger : une interprétation qui tienne compte de la symbolicité des images pour répondre à la question « de quoi Œdipe est-il le symbole « ? Pour cela, seront examinées et expliquées les « images « constitutives de cet improbable et inconfortable récit, de la naissance à la mort : « les pieds du roi », « La mère d’Œdipe », « Le choix ou la flèche d’Apollon », « la Sphinge », autant de chapitres. Mais aussi : « Les bâtons et leur usage », où apparaît plus nettement la méthode comparative. Œdipe, contrairement à Moïse, ne soupçonne pas l’usage vrai du bâton. Il s’en sert d’abord comme arme (comme on se servirait d’un gourdin) pour tuer le gêneur qui lui interdit le passage, (et qui s’avère être son père génétique) puis comme bâton de vieillesse, comme « soutien à sa déficience génétique ».

Puisqu’il est question de la vie psychique, il faut examiner les conditions et circonstances de la naissance et les « décrets de mort » qui pèsent sur celles-ci : pas seulement sur celle d’Œdipe (Œdipe à Colone) ou même sur celle de Moïse mais aussi sur celle de Jésus. Chapitre essentiel qui nous donne un premier « modèle » de la vie affective humaine, tiré de l’interprétation des images qui organisent la mort d’Œdipe, comme autant de symboles inconscients de cette vie affective : le liquide (l’inconscient), le texte (la rationalité) et le contrat (la vie sociale).

Comme nul ne saurait l’ignorer, pour naître, il faut la mère, mais il faut aussi le père. Or, ce que la doctrine freudienne a passé sous silence, c’est la faute à l’origine de cette tragédie : l’amour homosexuel de Laïos, le père d’Œdipe. C’est l’objet en particulier du chapitre XIII, « Faire face à la Sphinge », chapitre audacieux pour ne pas dire risqué, (chapitre un peu technique aussi) puisqu’il s’agit de montrer comment le mythe « dévoile subtilement une relation entre l’inceste et l’homosexualité » en même temps qu’il fournit « une description des fondements psychiques de l’homosexualité en tant que refus de la conception, puis refus du concept et débordement des représentations mentales ». L’homosexualité, nous dit l’auteur, c’est le refus de l’altérité dans la distinction. Si Laïos refoule sa transgression, Œdipe accomplit le refoulement de ce refoulement. Il ne lui restera plus qu’à s’aveugler à son propre aveuglement, dans une image à la structure symétrique et inverse. Ouf…

Et Moïse ?

Bien des chapitres sont en effet consacrés au malheureux roi de Thèbes et déploient pour chaque symbole ou événement de sa vie malheureuse une analyse minutieuse. C’est qu’il faut libérer Œdipe de Freud, ce n’est pas la moindre des vertus et des ambitions de cet ouvrage. C’est aussi que le mythe grec ne se comprend pleinement qu’au regard de l’autre système d’images, celui de la Révélation. Il y a de la pédagogie dans cette exposition en seize chapitres et elle a à voir avec les partis pris de l’auteur. Ainsi, la Sphinge et le Buisson ardent sont les deux figures antinomiques de l’homme confronté à l’énigme de sa propre nature. Œdipe nous révèle l’homme œdipien : celui « qui prend sa raison dévoyée pour sa propre inspiration ». Moïse montre le processus de libération (ch. XIV) qui commence avec la « Sortie d’Égypte » où l’on voit repris un ensemble d’images avec lesquelles nous sommes désormais familiarisées, puisque nous avons parcouru les trois quarts du chemin et des chapitres.

Comme le souligne le préfacier ( le père Saez), trois langages s’éclairent ainsi réciproquement : celui du mythe grec, celui de la figure mosaïque et celui qui est propre à la Révélation chrétienne. « Le langage employé par l’homme achevé pour se faire comprendre de ceux qui ne le sont pas est précisément le langage symbolique, parce que ce langage est celui même de l’âme-en- relation-au-monde ». C’est le langage de Jésus, mais c’est aussi le langage des images de la Révélation.

Nous pouvons alors suivre « l’itinéraire des plaies », itinéraire de régénération de la totalité du psychisme humain décrit selon la structure que les lecteurs de M. Froger connaissent : la structure quaternaire. Cet « itinéraire » nous fait parcourir, par étapes, un chemin de connaissance qui est un chemin de guérison, et donc de liberté.

Ce livre s’adresse à tous ceux qui ne consentent pas à l’idée de l’homme imposée depuis que ces trois plaies mentionnées plus haut, enfoncée dans les flancs de l’histoire et de la pensée,  les gangrènent; il est une antidote pour ceux qui cherchent une issue à l’impasse où la méchanceté des hommes a jeté l’anthropologie ; il s’adresse plus simplement à ceux qui auraient envie de relire Sophocle avec une clé herméneutique nouvelle ; il intéressera tous ceux qui s’intéressent aux voies du symbole et qui cherchent souvent dans des gnoses chimériques une réponse imaginative à de vraies questions ; il s’adresse surtout à ceux qui ont envie de mieux comprendre leur tradition chrétienne, à travers la Révélation et les images qui ordonnent cette Parole énigmatique souvent bien mal comprise et plus souvent encore mésinterprétée.

Il s’adresse surtout à tous ceux qui, un jour, ont senti peser sur leur existence humaine l’ombre sinistre de ce « décret de mort » et qui ont aspiré à s’en voir libérés, c’est-à-dire à une nouvelle naissance.

« Il faut donner l’occasion à une liberté de naître ».

Je suis d’accord.

Ce livre en donne l’occasion.

Une nouvelle apologie du Christianisme : Recension par Marion Duvauchel

Jean-François Froger, Une nouvelle apologie du christianisme, éditions Grégoriennes, 2022
Recension
Marion Duvauchel

Depuis des lustres, l’Église s’évertue à défendre l’alliance de la foi et de la raison sans réussir complètement sa démonstration. Probablement parce que l’opposition que des siècles de réflexion sur la question ont fini par imposer n’est pas aussi pertinente qu’il y paraît. Il faut donc qu’elle recouvre une autre structure agonistique : celle de la Révélation et de la logique. Mais il n’est pas aisé de bousculer des siècles de réflexion théologique. C’est pourquoi « une nouvelle apologie du christianisme » n’est ni un vain titre, ni un travail vain. Et puisque l’on nous affirme que « la droite raison démontre les fondements de la foi », l’auteur insiste sur ce point de son travail : « de bien définir de quoi il s’agit lorsqu’on parle de raison, de « droite raison et de connaissance par la foi ». Il me semble qu’il a raison et qu’il était temps !

L’idée au fond est simple : la raison n’est pas indépendante de la Révélation, mais pour le comprendre il faut oublier la perspective héritée d’Aristote, celle d’une logique binaire.  C’est le présupposé massif de M. Froger depuis une bonne cinquantaine d’année, armature d’une conception nouvelle concernant la place centrale de la logique dans la compréhension des Écritures et l’idée que la Révélation est exprimée dans une logique « quaternaire » correspondant aux « structures logiques sous-jacentes à la pensée hébraïque inspirée ». Toute la connaissance humaine serait ainsi descriptible par une structure relationnelle quaternaire. Cela demande déjà quelque effort mais cela est audible et cela a été présenté dans la plupart de ses travaux de bibliste et en particulier dans ce qui constitue une sorte de « somme » : Le livre de la Création, Le livre de la Nature humaine, et La couronne du grand-prêtre.

Mais avec Une nouvelle apologie du christianisme », dont le sous-titre est expressif – propos pour une logique intégrale » – il s’agit d’aller plus loin encore. Une logique intégrale ne rend pas seulement compte de la connaissance, elle doit rendre compte aussi de la Vie ; il s’agit donc de montrer que la vie obéit, elle aussi, à la logique, puisque la Vie éternelle, c’est de Te connaître. Il faut donc que la logique soit compatible avec la vie, parce que Jésus se décrit comme étant précisément « la Vie. La logique quaternaire est la logique de la vie, la logique qui gouverne la réalité et celle qui gouverne l’expression de la Parole, et c’est une logique du Bien, parce que, comme le rappelle le père Saez dans sa préface, il n’y a pas de logique du mal.

Mais ce n’est pas tout de le dire, il faut l’établir, c’est là que les choses se corsent.

Dans un tableau d’ensemble, le préfacier a regroupé sous la forme d’un tableau la « Quaternité de la vie humaine » telle qu’elle est développée dans une sorte de première partie du livre (les vingt premiers petits chapitres) : c’est un grand service qu’il rend au lecteur. Lire avec attention le plan détaillé placé à la fin peut aider à une intégration plus facile de données parfois complexes. Et la première partie consiste à déployer cette logique avec la précision qui est le propre de l’auteur, réassumant des concepts que nous connaissons bien : la personne, la liberté, les formes du monde, la nature, l’unicité et la multiplicité. Mais dans une structure inhabituelle, complexe sans aucun doute, parfois technique, inutile de le nier, mobile car elle offre des points de vue différenciés, un système cohérent qui ouvre des perspectives nouvelles pour comprendre la source de la liberté humaine, admettre que cette source est inconnaissable en dehors d’une révélation.  Et que cela rend compte de ce qu’on a coutume d’appeler « la personne ». On trouve donc dans cet ouvrage une juste appréhension de ce qu’est l’intelligence, de ses opérations essentielles ; une juste appréhension de la parole et du langage (et du malheur de vivre dans une parole pervertie) ; on y trouve une définition de l’analogie d’une précision quasi maniaque, prolongée dans la notion de figure. Et c’est là que les choses se compliquent un peu puisqu’elles commencent à apparaitre exprimées selon un formalisme qu’on peut trouver rebutant.

Tous ceux qui ont lu Balzac ou Victor Hugo le savent : il est parfois sage de passer quelques pages de descriptions plutôt que d’abandonner le livre. C’est une liberté que l’auteur, avec sagesse, concède à son lecteur pour les aspects techniques. En première lecture seulement. Il en faut donc une deuxième, et sans doute même deux autres encore. C’est que si les Écritures sont un jardin, on n’y entre pas sans quelque préparation, à commencer par une purification de « notre usage de la langue et de notre accès à la parole ». Car l’outil premier du langage, c’est l’analogie. Or, il est impossible de parler de logique hors d’une langue et d’un système de signes, et ce système de signes, même lorsque nous le maîtrisons fonctionne dans la réalité que la théologie a appelé « la chute ». Mais au-delà des déficiences de l’intelligence humaine, la réalité appréhendée représente elle-aussi une difficulté. Il est une loi formulée clairement : « pour entrer dans un discours de type logique, il convient de distinguer la structure du discours d’avec la structure de ce qu’il décrit ». L’intelligence met de l’ordre dans la perception des choses en les nommant, c’est-à-dire en fabriquant des classes d’objet et elle met de l’ordre dans les relations que les choses entretiennent entre elles. Ainsi en pédagogue avisé, l’auteur nous entretient du travail même de l’intelligence, dans ses essentielles opérations, dont la première consiste à créer des distinctions. Et ce travail de l’intelligence se fait dans la parole, qui fait partie de l’essence de l’homme. Il est bon de le rappeler dans un monde de bavardage où l’on déparle le plus souvent, et où l’on croit que la communication, c’est de la parole.

Décrire un système ne suffit pas, il faut en montrer les applications. S’il y a une première partie (l’exposé du système) il y a nécessairement une seconde partie : c’est celle qui présente plusieurs applications de la structure mise en évidence et précisément décrite. Plusieurs analyses logiques sont proposées, d’abord selon la logique ternaire (les tentations au désert, l’échelle de Jacob) puis selon la logique à la fois ternaire et quaternaire.

Ainsi, l’épisode de l’échelle de Jacob fournit un exemple de représentation imagée qui porte en particulier sur la source de la liberté, sur l’unicité de la personne humaine. L’analyse montre la transformation que doit subir Jacob pour devenir le père de ceux qui auront YHVH pour divinité (p. 176 et suivantes).

La troisième analyse logique est celle de la guérison de Bethsaïda et la signification de l’aveuglement spirituel dont la cécité est en quelque sorte la « figure ».

Suit une « application approfondie » (24, p. 200 et suivantes) : celle qui porte sur les états du corps de Jésus, où toute la structure quaternaire est en jeu, pas seulement la logique ternaire. Ce corps se montre selon trois états : le corpus natum, le corpus surrectum et le corpus sessum. Un même corps exprime la manifestation de la Parole divine dans le monde, mais sous trois formes qui en montrent des aspects différents. Voilà qui pourrait contribuer à renouveler toute la théologie et qui sait, convaincre avec des arguments de type logique tous ceux que rebutent la langue appauvrie et bavarde qui nous asphyxie. Et apporter des éclairages nouveaux sur le mystère de ce corps « passe-muraille » et de la formule « qui siège à la droite du Père ».

Et enfin, en dernière apparition mais non la moindre, l’épisode des noces de Cana constitue là encore un domaine d’application des structures à la fois quaternaires et ternaires, occasion pour l’auteur de montrer la structure de la famille et « la nature du contrat liant un homme et une femme pour qu’il soit réellement possible de « faire de l’homme » (p. 225). C’est d’actualité…

Ajoutons que, enfin, nous est proposé une analyse pertinente et recevable du mot de Jésus à sa mère et de la réponse inspirée de la sainte Vierge (faites ce qu’Il vous dira), échange qu’on avait fini par renoncer à interpréter vu que cela ne convainquait personne.

Il ne faut rien omettre de lire, en particulier l’exergue du pape Benoit XVI (21 mars 2007) et cette formule inoubliable : « le Christ est la vérité, non la coutume ».

La Quaternité de la Vie, qui obéit à la logique du Verbe divin, (le Logos de notre système conceptuel), c’est l’objet de de ce livre. Un peu technique bien sûr, mais parce qu’il s’adresse à un public différencié : il y en a qui aiment la logique et que le formalisme mathématique ne rebute pas ; il y en a qui font comme avec les descriptions de La Comédie humaine, ils passent ce qu’ils ne comprennent pas, ce qui les ennuie, ils y reviendront plus tard, en deuxième lecture. Il y a ceux qui trouvent cela vraiment par trop technique, et c’est à eux que s’adresse cette recension, en espérant qu’elle les aidera à surmonter les difficultés inhérentes à une pensée radicalement nouvelle, qui exige une transformation du lecteur.

Et il y a ceux qui, comme moi, se résignent à ne rien comprendre à la démonstration mathématique en trois pages de Robert Lutz intégrée dans « une nouvelle apologie », et qui espèrent que cela n’hypothèque pas leur compréhension de ce qui est essentiel.

Le protocole d’accès nous est d’ailleurs donné dans les dernières lignes de l’exergue :

« Prie avant tout pour que les portes de la lumière te soient ouvertes, parce que personne ne peut voir et comprendre, si Dieu et son Christ ne lui accordent pas de comprendre. » (Dial,7,3).

L’accès à la connaissance est aussi une affaire de prière.

Les marchands du Temple

Homélie du Fr. Jean-Sébastien, ocd
Dimanche 3 mars 2024
3e dimanche de Carême – Année B

Jn 2, 13-25

Comme la Pâque juive était proche, Jésus monta à Jérusalem. Dans le Temple, il trouva installés les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs, et dit aux marchands de colombes : « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. » Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit : L’amour de ta maison fera mon tourment. Des Juifs l’interpellèrent : « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? » Jésus leur répondit : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. » Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèverais ! » Mais lui parlait du sanctuaire de son corps. Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite. Pendant qu’il était à Jérusalem pour la fête de la Pâque, beaucoup crurent en son nom, à la vue des signes qu’il accomplissait. Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous et n’avait besoin d’aucun témoignage sur l’homme ; lui-même, en effet, connaissait ce qu’il y a dans l’homme.

En ce 3e dimanche de carême, la liturgie nous offre un passage de l’évangile selon saint Jean très énergique. C’est ce passage de l’évangile qui a été pour moi l’adhésion complète de mon intelligence en Jésus vrai Dieu et vrai homme, trente ans auparavant, et je ne cesse de rendre grâce. Pourquoi, la douceur de Jésus s’exprime avec autant de force ? Jésus exerce la vertu de force pour provoquer un changement : « Cessez de faire de la maison de mon père une maison de commerce. ». L’enjeu est de taille : c’est la « mort du Dieu » de Vie qui a pour conséquence inéluctable la mort de l’homme. Ce geste et les paroles, à la fois concrets et spirituels, constituent un signe prophétique. Nous voyons aisément le geste mais bien difficilement le signe prophétique ! Aussi que l’attitude de Jésus ne nous fasse pas oublier que le Temple en lui-même est aussi un signe prophétique et que les sacrifices opérés dans ce Temple sont aussi des signes prophétiques.

Pourquoi les judéens falsifiaient la fonction du Temple selon le modèle révélé à Moïse par Dieu sur le Sinaï (Ex 25, 9) et sa réalisation matérielle avec Salomon (1 R 6-7 // 2 Ch 3-4). Qu’est-ce que révèle le Temple ? Le Temple révèle la structure de la nature humaine, en même temps qu’il révèle le mystère de la présence de la divinité (Ex 25, 8) et la donation du modèle du Temple au Peuple par la médiation de Moïse est une pré-incarnation du Verbe. Le Temple est destiné à réapprendre à l’homme déchu la présence divine, dont il était exclu depuis la sortie de l’Éden, dans sa chute originelle. En définitive, le Temple est une figure de l’habitation de Dieu parmi les hommes (1 R 8, 10-13). L’homme doit se découvrir capable de parler à Dieu et pas à n’importe quelle divinité, c’est celui du Mont Sinaï (יהוה)[1]. Pour que l’homme prenne conscience de cette capacité perdue, il lui faut contempler et agir liturgiquement dans la structure du Temple.

Le Temple révèle dans sa liturgie la structure de la nature humaine. Le Temple a une structure visible dans son architecture. La nature humaine y est décrite par cette structure architecturale, nous avons le {parvis des femmes, parvis des hommes, Saint, Saint des saints} ou bien, dans un langage équivalent, en nommant les lieux par leurs fonctions, nous avons le {féminin, masculin, sacerdotal, grand sacerdotal}. Le Peuple de l’Alliance, constitué par la circoncision, entre dans le Temple par la porte du parvis des femmes. Ensuite les hommes, les prêtres et le grand prêtre peuvent franchir la porte de Nicanor, entre le parvis des femmes et le parvis d’Israël, et les hommes y demeurent. Les prêtres et le grand prêtre passent auprès de l’autel où ils devront faire des sacrifices et ils entrent dans le sanctuaire, le Saint, par le vestibule. Les prêtres y pratiquent leur service (la liturgie quotidienne). Enfin, le grand prêtre pénètre seul dans le Saint des saints en passant derrière le voile séparant le Saint du Saint des Saints. Si donc le Temple est la maison de Dieu, il révèle l’acte de gouvernement divin qui est d’organiser la nature humaine en quatre catégories, distinctes concomitantes, non-vides.

Le Temple révèle un mystère de la divinité, la seule et unique. Comme nous l’avons dit, le Temple institué par révélation est en quelque sorte un rituel opéré par Dieu même ; en cela, il révèle quelque chose de la divinité : si elle s’adresse à l’homme par un rituel, c’est pour lui proposer de répondre à une parole, réponse d’une intelligence à l’intelligence divine. Dieu se révèle comme Parole dans la dynamique liturgique du Temple. Aussi sa structure visible enseigne les conditions de la parole pour l’homme. On ne peut connaître la divinité que dans son acte de création ou dans un acte de gouvernement. Aussi la structure du Temple révèle la présence active de la divinité dans la révélation qu’il existe une hiérarchie humaine (hiérarchie dans son sens étymologique hiéros saint sacré et archen le commandement ou bien le principe : ordre sacré), c’est-à-dire un ordre interne immuable et sacré parce que résultant de la condition d’existence de la nature humaine. D’où, l’importance primordiale de la liturgie où les catégories de la nature humaine sont révélées et mises en évidence. Il en résulte que détruire la hiérarchie de la nature humaine, ce serait détruire la connaissance de la divinité rendue possible à travers elle, dans et par la liturgie.

Le Temple est une figure de l’habitation de Dieu parmi les hommes, c’est pourquoi Jésus identifiera son corps au Temple, ce qui ne se comprend évidemment qu’après la résurrection, mais à condition d’entrevoir aussi que le Temple figure la nature humaine créée par Dieu. Rappelons-nous, Jésus l’annonce clairement pendant son interrogatoire chez Caïphe. Au nom de quelle inculpation Jésus est-il condamné ? Sur l’annonce de la destruction du Temple ! C’est ce que la majorité du Sanhédrin entend comme blasphème et justifie à leurs yeux sa condamnation à mort. Nous l’entendrons dans quelques semaines. Et le geste et les paroles prophétiques de Jésus de ce jour, nous sont très utiles, même après les événements, pour que nous ayons la possibilité de les comprendre. Jésus affirme lors même de son procès qu’il est le Messie réalisant la prophétie de Daniel (Dn 7, 13-14) mais aussi le Seigneur siégeant à la droite de la divinité recevant domination, gloire et royauté sur toutes les nations. Il est donc le « concurrent » immédiat du grand Prêtre en activité.

Voyons maintenant en quoi il y a une falsification et en quoi le seul remède à cette falsification, c’est la destruction du Temple. Le cœur du rituel dans la liturgie du Temple est le sacrifice. On y sacrifie très concrètement des bœufs, des agneaux et des tourterelles mais ces sacrifices doivent ritualiser l’offrande de la vie dans un acte de réciprocité avec la divinité créatrice et donatrice de la vie. Acheter les animaux et les offrir, c’est bien donner quelque chose de soi et par conséquent de soi-même. L’argent de l’achat est un simple instrument d’échange. Acheter les animaux et les offrir par la main des prêtres préposés à cette tâche (le cohen est un sacrificateur), c’est obéir à un ordre divin. Tout le service liturgique (avodah עבודה) du Temple est ordonné par Dieu. Comment l’argent peut-il devenir une divinité au point que Jésus puisse dire de ne pas échanger la maison de son père avec une maison de commerce ? Comment l’instrument peut-il devenir le maître ? C’est que les sacrifices opérés ne sont plus destinés pour rendre un culte, mais cela sert de manière insidieuse et détournée, à remplir le trésor du Temple. Le Grand Prêtre n’exerce plus sa fonction liturgique de la présence divine dans le peuple mais devient le législateur temporel du Temple auquel on lui donne un impôt. Cela est très subtil mais très dangereux car cela réduit l’homme dans la servitude de la chute originelle.

Ainsi pour que vous ne transformiez plus la maison de mon Père en maison de commerce, « détruisez ce sanctuaire, – fait de main d’homme -, et en trois jours je le relèverai ». Il ne s’agit bien évidemment pas de l’événement historique provoqué par la révolte judéenne s’achevant par le siège de Jérusalem et la destruction du Temple par les Romains. Il s’agit ici de la réalisation du signe et des paroles prophétiques de Jésus. Si Jésus propose une destruction, c’est pour rendre immédiatement possible une reconstruction. Cependant, il y aura une destruction nécessaire de ce que signifie le Temple pour que sa reconstruction n’en soit pas simplement la restauration mais l’instauration dans son sens divin. Il est nécessaire de penser que la destruction n’a de sens qu’à cause d’une malfaçon ou d’une déficience antérieure. Hypothèse évidemment insoutenable ni même pensable pour les membres du Sanhédrin, c’est ce que nous commémorons dans les textes du vendredi saint.

L’opération est également impensable pour les disciples de Jésus lorsqu’il l’annonce mais ils s’en souvinrent après son relèvement d’entre les morts. Il fallait en effet que l’âme de Jésus fût séparée de son corps pour que le corps puisse « se relever d’entre les morts » et qu’ainsi transformé, il puisse siéger à la droite du Père, avec son âme humaine déifiée. Dieu n’a pas voulu opérer le sauvetage de l’humanité, comme d’une épave : Il a voulu susciter en elle une vie, sa propre Vie qui est déjà en nous en germe. Dieu, le Dieu unique créateur, est évidemment le créateur de l’homme. L’homme Jésus réalise parfaitement ce qu’il dit et ce qu’il enseigne ; il en résulte que nous pouvons voir dans la scène des marchands du Temple un acte réalisant dans ce monde-ci l’exacte volonté de la sainte Trinité faisant advenir son Règne et sanctifiant parfaitement son Nom (יהוה).

La destruction du Temple est d’abord la mort corporelle de Jésus sur le Golgotha et sa reconstruction est la résurrection et l’ascension de ce corps vivant en la sainte Trinité. Son sacrifice d’oblation consiste à pouvoir ramener de la mort des hommes que la mort avait engloutis. C’est donc la résurrection qui rend Jésus capable d’être « reconnu et nommé » grand prêtre c’est-à-dire un vrai homme (He 5, 7) sans péché qui assume pleinement la nature humaine et la nature divine (He 7, 25-27) et c’est bien la résurrection qui rend les disciples capables de comprendre les Écritures et la parole de Jésus dans un même et unique acte de foi (Jn 17, 2).

Jésus reconstruit le Temple par son corps de chair ressuscité parce que cette fois-ci le Temple est la véritable incarnation du Verbe. Comment voir cette nature humaine restaurée parfaite comme elle l’était au « moment » de la Création ? En observant le Temple destiné à la révéler, avec le grand prêtre qu’il fallait, non avec sa représentation déficiente. En Jésus ressuscité, on voit alors la nature humaine parfaite.

Rappelons-nous, le Temple, c’est le lieu de la présence divine où l’homme doit sacrifier. Avant la destruction, on offrait des animaux, nous aussi aujourd’hui nous faisons un sacrifice, nous offrons le pain et le vin, qui deviennent le corps et le sang du Christ pour que nous nous en nourrissions. En effet, le Christ Jésus, vrai Dieu et vrai homme, le véritable Grand Prêtre, veut que nous soyons là où Il est.

Amen[2].

Fr. Jean-Sébastien de Notre-Dame du Sacré-Cœur (Pissot), ocd


[1] Le Tétragramme יהוה est formé des lettres hébraïques Yod (י), He (ה), Vav (ו), et He (ה).

[2] Homélie s’inspire très largement des livres de Jean-François Froger : « Le Livre de la Nature humaine », Éditions Grégoriennes, 2019, p. 209- 226 ; « La couronne du Grand-Prêtre », Éditions Grégoriennes, 2021, p. 431-444 ; « Chemins de connaissance » (avec la collaboration de Dr Michel-Gabriel Mouret) Editions DésIris, 1990, p. 41-52 ; « D’or et de Miel », Editions DésIris, 1986, p. 69-74.

Moïse et Œdipe

Dans cette série de 10 émissions, diffusées en 2018, 2019, Jean-François nous parle du mythe bien connu d’Œdipe. Bien connu, vraiment ? Vous serez surpris de ce que vous allez entendre, et surtout de comprendre que la vie de Moïse est tout aussi symbolique et « mythique », c’est à dire ayant un sens caché.

Le prochain livre de Jean-François est précisément sur le sujet abordé dans ces émissions. Cliquez ici pour accéder à la page de ce livre.

1 – Moïse et Œdipe
2 – Moïse et Œdipe
3 – Moïse et Œdipe
4 – Moïse et Œdipe
5 – Moïse et Œdipe
6 – Moïse et Œdipe
7 – Moïse et Œdipe
8 – Moïse et Œdipe
9 – Moïse et Œdipe
10 – Moïse et Œdipe

La structure cachée du réel

L’ouvrage est le résultat d’un travail de recherche de neuf années concernant les liens structurels entre la métaphysique, la physique et la théologie chrétienne. Il met en évidence l’existence d’une structure universelle. L’encyclique « Fides et Ratio » du pape Jean-Paul II a lancé un grand défi à la pensée contemporaine en disant que la foi éclaire la raison et que la raison conforte la foi. Nous relevons ce défi et c’est la première fois dans l’histoire des sciences et de la théologie que la description de la réalité physique se déduit de la métaphysique et que la même métaphysique permet d’exprimer rationnellement les grands dogmes qui structurent la foi chrétienne : Trinité, Création, Incarnation. Pour aboutir à cette unification épistémologique, il a fallu concevoir une nouvelle métaphysique, celle de la « Relation » assortie d’une logique quaternaire, à la place de la métaphysique de la « Substance » et de la logique binaire héritées d’Aristote.

Il en résulte un nouveau paradigme dont l’ouvrage donne les fondements et montre l’efficacité jusque dans les aspects techniques de la physique des particules et des atomes. Les concepts de la physique prennent un sens inattendu et même la notion de vie apparaît sous un jour nouveau propre à éclairer aussi bien la théologie que la biologie. Ces résultats étonnants viennent de la puissance du modèle métaphysique quaternaire qui rend possible ce que les modèles connus jusqu’à présent excluaient comme impensable.

L’arbre des archétypes

Les lettres de l’alphabet hébreu comme figures et nombres

L’arbre des archétypes montre la signification des lettres de l’alphabet hébreu, qui semble être un système de signes conduisant à une connaissance profonde de l’anthropologie, étudié ici à travers le psaume alphabétique 145.

Ces lettres ont été créées, avant leur écriture carrée venant de Babylonie, à partir de l’idée hiéroglyphique importée d’Égypte : chaque lettre-syllabe désigne d’abord un objet et cet objet représente analogiquement une idée.

Les lettres se suivent dans l’alphabet selon un ordre invariable qui permet de compter mais qui dévoile aussi un enseignement sur les représentations archétypales dont nous nous servons pour penser le monde.


L’arrangement parfois étrange des « images archétypales » qu’on trouve dans la Bible témoigne de son origine « révélée ».

La figure de la Ménorah, arbre portant la lumière à partir des lettres, prend tout son sens lorsqu’on voit que les lettres sont organisées selon un ordre numérique très précis.

Jean-François Froger explore l’anthropologie biblique depuis une quarantaine d’années.

Bernadette Main, artiste plasticienne, a réalisé une œuvre originale pour cet ouvrage.

Jean-François Froger, parfois avec un co-auteur, produit des essais anthropologiques et théologiques montrant le renouvellement possible d’une pensée reconnaissant sa source d’inspiration.